
Après plus de trente ans d’existence, Mieux-Etre.org va fermer.
Cette décision s’impose avec la discrétion des évidences tardives : le paysage dans lequel le portail est né n’est plus celui d’aujourd’hui et il est simplement temps d’en reconnaître la fin.
En voici les raisons principales.
Quand Mieux-Etre a vu le jour — il y aura bientôt trente-cinq ans sous la forme d’une édition papier annuelle, puis dix ans plus tard dans sa version web — le paysage de l’accompagnement n’avait rien de clair. Certainement pour moi.
Les approches humanistes, corporelles, systémiques, existentielles, spirituelles aussi — venues des marges, des laboratoires vivants, de pratiques qui s’inventent avant d’être reconnues — cherchaient encore leur voix auprès d’un public plus large.
Mieux-Etre.org souhaitait éclairer ces chemins, donner visage et consistance à ce mouvement naissant.
Il y avait un souffle, une effervescence, une joie, une créativité partagée. Bref, le désir de penser autrement l’accompagnement de l’existence.
Mettre en valeur cette variété de regards et cette richesse de pensée était exaltant, passionnant, profondément enrichissant.
Le portail servait alors de passerelle entre des approches balbutiantes et un public en quête d’alternatives et de sens. Il n’opérait pas un tri par exclusion, mais par explicitation : en donnant la parole aux praticiens, en situant leurs démarches, il permettait de comprendre ce qui se cherchait derrière ces formes nouvelles d’accompagnement.
Pendant trois décennies, Mieux-Etre.org a tenté d’ouvrir un peu de clarté dans un paysage où l’on confondait trop vite le neuf avec l’ésotérique, l’expérimental avec le douteux, le sensible avec l’approximatif.
Le portail n’a jamais prétendu tracer la voie ni définir un champ. Il s’est seulement efforcé — modestement et à sa mesure — d’offrir un lieu où ces pratiques en devenir pouvaient se comprendre entre elles, se présenter sans tapage, se penser autrement que dans l’urgence de la légitimation ou la peur de l’erreur.
Mieux-Etre.org n’était ni une autorité, ni un label, ni un garant : simplement une fenêtre ouverte, un point d’appui, un espace disponible pour discerner — un peu mieux — ce qui se cherchait dans l’accompagnement contemporain.
Mieux-Etre fut aussi un lieu de rencontre entre professionnels.
Lors de soirées ponctuelles, visions et courants de pensée se côtoyaient dans une ambiance chaleureuse et enrichissante, à une époque où les écoles se parlaient peu et où les choses demeuraient très cloisonnées.
Un espace où la pluralité pouvait respirer — sans dogme, sans chapelle, sans marketing.
Ces rencontres, dans le réel comme sur le portail, étaient joyeuses, exaltantes, un peu artisanales parfois, mais vivantes.
Pendant des années, tout cela a eu du sens.
Du moins, j’y mettais ce sens-là.
Internet s’ouvrait alors comme une région neuve où circulaient des idées, des pratiques et des voix rarement entendues ailleurs, et Mieux-Etre.org y avait naturellement trouvé sa place.
Mais, avec le temps, le paysage s’est transformé.
Ce qui était émergent est devenu connu, parfois institutionnalisé.
Ce qui était rare est devenu disponible, ce qui était fragile est devenu établi.
Ce qui nécessitait un lieu fédérateur n’en a plus besoin.
Ce que Mieux-Etre tentait d’apporter — lisibilité, repères, espace de compréhension — existe désormais ailleurs, en abondance : médias, plateformes, sites institutionnels ou personnels, chaînes YouTube, annuaires multiples.
Dans ce paysage, le portail perd naturellement l’utilité singulière qui fut la sienne. Continuer, ce serait devenir un site parmi d’autres, alors qu’il était né précisément pour combler un manque qui n’existe plus.
Le glissement du mot “mieux-être”
À cela s’ajoute un autre déplacement : le terme « mieux-être » s’est élargi, étiré, dilué, jusqu’à devenir un mot-valise où tout peut entrer — l’accompagnement le plus fin comme les injonctions les plus pauvres.
Le mot ne protège plus son sens : il se laisse contaminer par le marché, absorbé par des usages qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’idée qu’il portait à l’origine.
La temporalité numérique.
Le flux continu, la réactivité devenue norme, les cycles de mise à jour permanents transforment notre rapport au soin et à la pensée.
Cette temporalité laisse peu de place à la lenteur, à la nuance, à l’attention — pourtant essentielles à toute démarche d’accompagnement.
Rester cohérent dans ce tempo devient de plus en plus difficile, au point d’altérer l’esprit même du portail.
Enfin — et c’est loin d’être secondaire — le climat idéologique a basculé.
Une logique néolibérale s’est insinuée dans le soin : le thérapeute devient prestataire, le soin une offre, l’accompagnement un service, et les besoins humains des segments de marché.
Cette manière de penser colonise les imaginaires, impose ses indicateurs, ses évidences, ses promesses calibrées. Elle privilégie la visibilité plutôt que la présence, la performance plutôt que la profondeur, la rentabilité plutôt que la rencontre.
Elle simplifie, absorbe, uniformise, appauvrit la complexité des expériences humaines et finit par imposer un cadre où le mot « mieux-être » lui-même, comme dit plus haut, ne signifie plus vraiment ce qu’il voulait dire.
Et le public, pris dans cette dynamique, semble parfois en redemander.
Dans un tel environnement, Mieux-Etre.org ne peut plus parler depuis un lieu juste. Il ne peut plus se tenir à l’écart de ces logiques, ni y répondre sans se trahir.
La cohérence collective des débuts s’est dissipée, et l’intention initiale ne trouverait plus sa place dans ce paysage morcelé — du moins pas sous ce nom, dont le sens premier s’est effacé, ni sous la forme que le portail a connue.
Continuer ainsi n’aurait été qu’entretenir une forme devenue trop étroite.
On m’a plusieurs fois proposé de reprendre le portail.
J’ai rencontré des personnes motivées, enthousiastes, bien intentionnées.
Mais j’ai compris que ce projet, façonné par trente ans d’histoire, était devenu trop personnel pour être transmis fidèlement. Et surtout, qu’un transfert n’aurait rien changé aux raisons profondes de sa fermeture : dilution du terme, transformation du paysage, évolution du marché.
Ne pas transmettre, c’est reconnaître que l’époque appelle d’autres formes d’action — et que ce qui a existé fut une belle aventure, utile à sa modeste échelle.
Fermer Mieux-Etre.org n’est donc pas se retirer, mais reprendre position.
C’est refuser que le soin se réduise à des outils, à une optimisation de soi ou à un marché de techniques concurrentes.
C’est affirmer que l’accompagnement demande une disponibilité, une profondeur qui ne se laisse ni vendre ni formater.
C’est refuser de cautionner une dérive silencieuse, et continuer de penser depuis un lieu fidèle à l’essentiel.
Pendant trois décennies, le portail a été un lieu de passage et de rencontres formidables.
Je garde une profonde gratitude envers les auteurs, envers celles et ceux qui y ont présenté leur travail, envers le public attentif, envers l’élan des débuts et l’audace des approches hors institutions.
Mieux-Etre.org m’a beaucoup appris, il m’a déplacé, il m’a accompagné autant que j’ai tenté d’accompagner son évolution.
Cette gratitude rend la fermeture paisible.
Cette aventure m’a permis d’évoluer, d’affiner ma lecture du paysage, d’actualiser ma manière de comprendre ce qui se joue dans le soin et dans le monde.
Il est donc temps pour moi d’ouvrir autrement.
Ailleurs, plus discrètement, je poursuivrai la réflexion, l’écriture et la présence.
Dans des espaces moins exposés, où la parole peut demeurer libre, où la pensée peut se tenir à distance des vitrines et des injonctions.
Fermer Mieux-Etre.org, c’est laisser une forme s’éteindre pour pouvoir continuer, différemment, à questionner ce qui façonne nos vies, à résister à la marchandisation du soin et à défendre la profondeur de la rencontre humaine.
Merci encore à celles et ceux qui ont fait vivre ce projet, comme acteurs ou comme visiteurs.
Benoît Dumont est psychothérapeute à Bruxelles - Uccle (également consultations en ligne). Il est titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP) délivré par l’Association Européenne de Psychothérapie (AEP), il est membre de l’Association Belge de Psychothérapie (ABP/BVP) et membre fondateur du collectif Alter-Psy.
Il est aussi le responsable éditorial de Mieux-Etre.org
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