Chronique

Non, tout le monde n’a pas besoin d’une psychothérapie !

Par Pascal Aubrit


Non, tout le monde n'a pas besoin d'une psychothérapie (...)

Lorsque j’ai commencé à rédiger des articles sur la psychothérapie, j’ai assez naturellement eu envie d’écrire sur ce qui peut nous amener à consulter un psy. Ensuite, sans doute un peu par esprit critique, j’ai eu envie de donner mon avis sur une opinion qu’il m’est arrivé à plusieurs reprises d’entendre autour de moi, rarement de la bouche de psychothérapeutes d’ailleurs.
Cette opinion était la suivante : tout un chacun devrait faire une psychothérapie, et le monde en serait forcément meilleur.

Avant d’exercer la psychothérapie moi-même, j’acquiesçais, enthousiaste. Aujourd’hui, je suis convaincu que c’est loin d’être aussi simple.

Que du bonheur !

Je n’apporte rien d’original en énonçant ici que la quête du bonheur occupe une place prépondérante dans la société occidentale du 21e siècle.

En schématisant, on pourrait penser que l’être humain a été finalement surpris de constater que lorsqu’on était suffisamment affranchi des besoins primaires listés sur la célèbre pyramide de Maslow, ici légèrement modifiée en 2.0, il n’en restait pas moins une fondamentale et terrible angoisse de vivre (et de mourir) face à laquelle nous sommes conduits à tenter d’exister.
Par le truchement d’un raccourci tout aussi radical et mal taillé, le bonheur serait l’antidote ultime à cette angoisse, le sel de l’existence. Difficile à avaler lorsqu’on meurt de soif.

Tous coachés


À notre époque, chacun se fait coacher. Ça non plus, ce n’est pas une idée nouvelle, et ça faisait déjà bondir Roland Gori en 2006, en réaction à la déclaration de Vincent Lenhardt qui prônait alors « un coach pour 50 habitants ».
Et quand ça n’est pas du coaching, c’est du développement personnel, les rayonnages des librairies en débordent ; méditation, sophrologie, psychothérapie, j’en passe et des meilleures.

Pris dans le mythe d’un individu coupé du lien à l’autre, en quête d’une perfection esseulée, nous avons à nous améliorer, à progresser sans cesse pour accéder à l’éden : être heureux ! Pour cela, en vrac il nous faudra apprendre à vivre nos erreurs comme des opportunités ; apprivoiser, gérer – voire contrôler – nos émotions, libérer notre créativité et notre spontanéité, nous affranchir des liens toxiques, et surtout, nous aurons à lâcher prise. Quant à savoir à quoi se raccrocher, puisqu’il n’est pas invraisemblable d’établir une corrélation entre lâcher-prise et risques de chute, voire d’effondrement, ça n’est jamais mentionné dans les milliers d’articles sur le sujet, qui pullulent sur les réseaux sociaux et dans les magazines.

Alors comme ce programme ambitieux n’est pas à la portée du premier ou de la première venue, c’est là qu’interviennent les coachs, psys, et autres nouveaux directeurs de conscience.

Et sans vouloir dévaloriser telle ou telle approche, il me paraît cependant important d’établir une différence entre psychothérapie et développement personnel. Aller voir un psy, un coach, ou autre, pour travailler un point précis et ponctuel qui pose problème dans notre vie peut se révéler très utile. Dans un même ordre d’idée, être en capacité et prendre en responsabilité de s’offrir un espace de parole et d’écoute régulier avec une personne neutre, qui saura offrir la présence nécessaire, et pourquoi pas quelques conseils utiles, peut s’avérer nécessaire, et même agréable, si la relation qui se noue procure un bien être. À condition de savoir où l’on est et ce que l’on y fait. Autrement dit, à condition de ne pas confondre voir un psy et engager une thérapie.

Une psychothérapie ou une psychanalyse sont des processus qui demandent un certain temps et comportent une intensité non moins certaine. Durant la thérapie, nous revisitons les étapes de notre vie qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui, pour ressentir, pour mettre des mots, mais surtout pour réactualiser des points qui nous font buter dans le présent sans que l’on puisse comprendre pourquoi, ni comment. Cet itinéraire s’effectue dans la relation entre le thérapeute et le patient, de préférence jusqu’à bon port, et souvent après avoir essuyé quelques tempêtes. Autrement dit, une psychothérapie ça remue, il faut trouver le bon guide ; il y a un début, il y a aussi une fin.

Mais on peut tout aussi bien consulter un psy régulièrement pendant cinq ou dix ans, voire plus, découvrir et comprendre des choses sur nous-même et notre histoire, mais sans jamais entamer ce voyage. Et bon sang, où est le mal si cela fait du bien ? Bien sûr, cela pose la question de l’autonomie et de la dépendance. Quelle est donc cette relation que j’entretiens avec mon psy ? Est-ce une béquille qui devient petit à petit une sorte de greffe, comme on le reproche aux antidépresseurs ? Est-ce un ami, voire un membre de la famille ?
Une hypothèse plausible dans ce cas, c’est que le psychothérapeute soit devenu le bon parent dont le patient a manqué et qu’il ne veut plus quitter. Et dans ce cas, il est de la responsabilité du psy d’aider le patient à y comprendre quelque chose.


Est-on réellement un bon parent si nos enfants ne peuvent envisager de vivre sans nous, s’ils ne peuvent se séparer ? Est-on un bon parent si nos enfants ne peuvent envisager notre mort et y survivre ? Est-on un bon psy si nos patients ne peuvent plus arrêter de venir nous consulter ?

Surface et profondeurs

Dans le travail sur soi, on parle souvent de profondeur ou de surface, le champ lexical se réfère à la métaphore minière : on sonde à la surface, puis on creuse, on creuse, on descend au fond de la grotte de Platon (sans doute pour trouver la vérité sur nous-mêmes), en empruntant les galeries les plus reculées...

Quant à savoir s’il est prévu de ressortir un jour, c’est rarement mentionné. Le patient en psychothérapie serait donc un Toussaint Maheu à la Germinal, ou bien une taupe, myope et collée à la paroi qu’elle est occupée à creuser, ou bien encore un lombric, compostant les expériences qui fondent son être-au-monde.

Cette omniprésence de la métaphore souterraine, qui finit par sentir si fort l’humus qu’elle en évoquerait bientôt la tombe, explique sans doute en partie l’actuel succès de la gestalt-thérapie, qui s’occupe quant à elle de la surface (l’ici et maintenant), non pas comme une superficialité, mais comme ce qui serait la peau de notre expérience de vie, tressaillant ou frissonnant, au choix, et selon les remous que provoque la vie intradermique au moment de la séance avec le psychothérapeute.

Aller voir un psy et faire une psychothérapie, deux processus différents


Et maintenant, posons-nous la question : pourquoi diable faudrait-il absolument et à tout prix entamer ce voyage vers les profondeurs ?
Si je gère à peu près correctement mes relations avec les autres, si j’avance dans la vie d’une façon qui me satisfait plutôt, si je ne perçois pas ou si l’on ne me renvoie pas que je bloque, que je coince, que je bute ? Pourquoi devrais-je prendre le risque de rompre l’équilibre que j’ai sans doute longuement et péniblement échafaudé, et pour quel bénéfice ? En thérapie orientée solutions, on dit bien d’ailleurs que si ça n’est pas cassé, on ne répare pas.

Encore une question, comme disait Columbo : aller voir un psy ou faire une thérapie, ne pourrait-on pas faire les deux à différents moments de notre vie ?
Bien sûr la psychothérapie, lorsqu’elle est engagée auprès d’un bon professionnel (quelqu’un qui a suffisamment exploré pour lui-même surface et profondeurs), cela libère, cela permet l’accès à l’autonomie. Et en même temps, cela déstabilise, angoisse, réveille des choses qui n’étaient pas enfouies par hasard (et revoilà la métaphore minière !).
Bref, aller voir un psy sans forcément s’engager dans un travail en profondeur, ça n’est peut-être pas si mal ! Et en fait, tout cela n’est qu’une question de choix, sachant que malheureusement, nous aurons rarement le beurre et l’argent du beurre. Comme disent les anglais : no pain, no gain.


Autrement dit, la tendance actuelle qui consiste à entrer chez le psy en lui demandant de résoudre tous vos problèmes en dix séances est certes une émanation d’un vécu sociétal où le besoin de vitesse se combine à une intolérance à la frustration, mais il faudra bien être capable de s’en affranchir sous peine de s’ancrer dans une toute puissance où les problèmes en question poursuivront leur chemin, éventuellement jusqu’au burnout.

Psychothérapie, deux temps, plusieurs mouvements

Pour avoir expérimenté à des âges différents les deux chemins que je décris ci-dessus : d’abord le joli sentier qu’on arpente au bord du fleuve en bonne compagnie, puis le tortueux chemin des cimes, parsemé de crevasses et de gouffres, mais également de paysages splendides, je me dis décidément que les deux ne sont pas incompatibles.
Le premier itinéraire m’a sans doute permis d’entrer dans ma vie d’adulte. Quant au deuxième, il représente assurément l’expérience la plus intense qu’il m’ait été donné de vivre, et en même temps je suis assez content d’être redescendu de la montagne.
Au passage, vous aurez peut-être remarqué que j’ai changé de métaphore, mais notons qu’il s’agit une fois encore d’aller vers des extrémités, qu’elles se situent dans les profondeurs de la terre ou vers le ciel.

Et ces visuels anti-thérapie, comme celui qui illustre cet article, quel sens leur donner ? Bien sûr, on pourrait dire qu’il s’agit de manifestations de la résistance de la société contre la psychothérapie, des défenses en somme, contre l’angoisse de la rencontre avec soi-même. Mais il est tout aussi raisonnable de penser qu’ils sont le révélateur d’un ras-le-bol légitime contre le lavage de cerveau psycho-développemento-comportementaliste en cours.

Et si le canon de l’être humain du 21e siècle s’incarne dans la capacité à contrôler ses émotions, alors qu’il faudrait déjà pouvoir les accueillir et les vivre ; gérer ses relations sans conflits, au risque d’oublier jusqu’à l’idée de se mettre en colère ; cultiver la zénitude, au point de ne plus se rendre compte de nos angoisses ; et lâcher prise quand on n’a pas appris à nouer des liens, alors je ne me trouve aucune accointance avec cet être-là. Et en même temps, le pauvre, il aura bien besoin de gens qui pratiquent mon métier.

D’ailleurs, il n’est sans doute pas dû au hasard que ces visuels opposent systématiquement la thérapie à des activités sportives, récréatives et à sensations fortes. Le message est clair : je refuse de devenir parfait comme vous me le suggérez si fortement, je préfère aller boire un coup et faire du sport avec mes copains. 
Ici, ce n’est pas la psychothérapie qui est visée, mais une certaine idée de la psychothérapie, cognitivo-comportementaliste notamment, qui lisserait l’humain pour le rendre impeccable, alors que le but est diamétralement inverse.

La psychothérapie bien comprise existe au contraire pour redonner des aspérités à la personnalité, des points d’accroche et d’ancrage.
Ne plus être ce que maman/papa/mon patron/mes enfants/mon mari/ma femme/mon école/la société souhaitent que je sois, et décider d’aller enfin vers ce que j’ai envie d’être.

Pour aller plus loin :

  • L’entrée dans la vie, la thèse de Georges Lapassade, sous-titrée « essai sur l’inachèvement de l’homme ». Un ouvrage fantastique pour tous les jeunes adultes qui remplace avantageusement l’ensemble de la production psychologisante grand public actuelle.
  • L’empire des coachs, ouvrage critique de Roland Gori sur le coaching, pas toujours au fait de la réalité du métier, parfois généralisateur, mais cela demeure une lecture excessivement bénéfique que chaque coach peut mettre sur sa table de nuit.
  • La fatigue d’être soi d’Alain Ehrenberg, qui permet notamment d’approfondir le terme individualisme, souvent associé à tort à l’égoïsme et au repli sur soi.
Publication proposée par : Aubrit Pascal

Pascal Aubrit s’inscrit dans le courant de la psychothérapie relationnelle. Ce champ disciplinaire est basé sur le postulat suivant : quelle que soit la technique utilisée par un thérapeute ou ses outils, c’est avant tout la relation qui soigne.

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