Les thérapies Familiales (II)

Par François-Xavier Colle, psychologue, psychothérapeute


Les thérapies Familiales (II)

Suite à une présentation générale des psychothérapies familiales sur un plan clinique, nous souhaitons revenir sur l’émergence de courants de pensée, qui interrogent nos façons de connaître, de penser et d’agir. Les théories systémiques sont à l’origine des approches thérapeutiques renouvelées des familles, des couples et des groupes. Les thérapeutes familiaux se réfèrent souvent à Gregory Bateson et au « collège invisible » de Palo-Alto. Nous évoquerons un autre mouvement d’importance : les conférences de la fondation Macy.

Schématiquement, l’école de Palo-Alto se réfère à la cybernétique de premier ordre (l’observateur est indépendant des phénomènes qu’il décrit : on s’intéresse aux modèles) ; les conférences de la fondation Macy recouvre la cybernétique de second ordre (l’observateur construit les phénomènes qu’il décrit : on s’intéresse à l’observateur).

Après la seconde guerre mondiale, aux Etats-Unis, la schizophrénie intrigue par le non changement des patients, qui « résistent » à toutes les approches individuelles, psychothérapeutiques et/ou médicamenteuses. Ils deviennent des patients chroniques.

Les interactions entre les patients schizophrènes hospitalisés et leur entourage familial montrent des bizarreries aux soignants un peu attentifs aux patterns transactionnels. Ils constatent sans pour autant l’expliquer, l’aggravement des symptômes psychotiques suite aux visites de parents à l’hopital ou lors du retour des patients désignés au domicile familial.
Avec le recul et tenant compte des avancées de la modélisation cybernétique, nous dirions ceci dans les services de soins.
Vous découvrez – sans pouvoir les énoncer - les effets paradoxaux du soin individuel, qui n’intègre pas la prise en compte du contexte. Plus précisément, s’opère une double injonction paradoxale : une injonction paradoxale émise par le contexte de soins, une injonction paradoxale émise par la famille. A notre époque, cette double injonction demeure dans nos institutions, qui traitent de la souffrance, de la déviance et de la détresse.

Schématiquement :
L’injonction des systèmes soignants : ici, nous soignons l’individu a-normal en l’ isolant de son entourage et en soustrayant le sujet « malade » de son environnement immédiat. Le message non verbal émis à l’intention des parents et des familles est le suivant : « vous n’y êtes pour rien et laissez-nous faire ».

L’injonction des systèmes familiaux : « nous demandons des soins pour celui d’entre nous qui souffre sans rien changer à nos relations ! » ET « tenez-compte de nos remarques ! »
Les remarques, qui portent généralement sur deux ensembles distincts de faits (évènements) : le fonctionnement (et surtout les dysfonctionnements) du contexte soignant d’une part, l’accumulation d’indices relationnels et la collecte de données individuelles « ignorées délibérément des soignants » d’autre part, malgré toute la bonne volonté des porte-paroles familiaux. Le message non verbal émis par les familles à l’intention des experts du soin se résumerait ainsi : « le nôtre (malade) est distinct de l’ensemble des malades que vous traitez, entendez les particularités que nous rapportons, pour mieux vous aider à le changer ».

Les deux systèmes, sont donc « conditionnés » pour une escalade symétrique dans l’échange des communications entre eux. Le patient désigné - le psychotique - est comme le voyageur traversant une rivière aux courants indécidables : au milieu du gué ne sachant sur quelle rive se diriger, et oscillant entre l’une et l’autre selon les forces en présence.

Les recherches sont interrompues dans le contexte de la seconde guerre mondiale, et reprennent à partir de 1945. En 1949, Gregory Bateson travaille à l’hôpital psychiatrique de la Veteran Administration et en 1952, il étudie les paradoxes et l’abstraction en communication avec John Weakland (chimiste) Jay Haley (communication sociale). En 1954, Don Jackson les rejoint et ils publient ensemble en 1956 l’hypothèse de la double contrainte.

Schématiquement, on distingue alors deux groupes de recherche, toujours aux Etats-Unis : l’un sur la côte Ouest en Californie avec ceux qui composent ultérieurement le « collège invisible » basé à Palo-Alto autour de Gregory Bateson. Sur la côte Est des Etats-Unis dans la région de New York, à Boston en Philadelphie, les recherches restent plutôt médicales, plus classiquement sous l’influence de la psychanalyse.

- Sur la Côte Ouest, sous l’influence de Gregory Bateson, s’érige un centre de recherches interdisciplinaires, qui s’organise en abandonnant les théories anciennes pour élargir le cadre de pensée nouveau. Gregory Bateson forme une équipe pluri-disciplinaire. Il s’entoure d’experts issus de domaines variés : l’anthropologie, la psychanalyse, le travail social, la psychiatrie, l’ethnologie, les mathématiques, la logique.
Tout se fonde principalement sur l’étude et l’observation des relations, du contexte, de la relativité du point de vue des systèmes d’observation ; la théorie de la communication en est la consécration. Ils en concluent que les troubles du comportement et les altérations psychiques coïncident avec une fréquence élevée de messages incongruents (injonctions paradoxales ; communications contradictoires ; règles aléatoires ; confusions logiques) entre les éléments qui composent le système familial et par contamination l’entourage élargi. Ils suggèrent même que les mécanismes de la communication seraient susceptibles de provoquer des altérations de la conscience et des apprentissages, des perturbations somatiques sévères.
L’école de Palo-Alto aura une influence prépondérante sur le développement des thérapies familiales.

- Sur la Côte Est, des psychiatres plus classiques, privilégient l’ analyse directe, (Rosen) les thérapies intensives. Frieda Fromm-Reichman, Harry Stack développent les idées et les pratiques centrées sur les relations symbiotiques entre la mère et l’enfant, se focalisent sur le concept de la mère ou de la famille schizophrénogène.

A titre d’exemple, dans ce courant plus enclin à la confrontation clinique, Murray Bowen, propose les protocoles suivants : il demande aux mères de schizophrènes hospitalisés, puis aux deux parents de venir résider avec leur enfant et de s’en occuper dans la clinique.
En 1954, il se rend au NIMH ( Institut National de Santé Mentale) à Washington : il hospitalise des familles entières, qu’ il reçoit pour traiter les dysfonctionnements dans leur globalité. Bowen développe des concepts tels que : la différenciation du soi, l’origine tri-générationnelle des symptômes (trois générations sont nécessaires pour « fabriquer » un schizophrène) le divorce affectif, la triangulation, la projection. Il propose un projet en 1956 de traitement des familles, qualifié d’ hérétique et de dangereux.
L’opposition administrative est telle, qu’ il quitte son poste. Lyman Wynne, lui succède et décrit la pseudo mutualité et la pseudo-hostilité dont souffriraient les familles ayant un patient désigné psychotique.

A cette époque, Ted Lidz à Yale, attire l’attention sur le père du schizophrène, le schisme et le biais familial chez le schizophrène.

Carl Whitaker exerçant à Atlanta puis à Madison, développe un style de thérapeute familial très personnel et impliqué, faisant fi de la neutralité en vogue. Il reçoit les familles, élargit le système d’accueil à plusieurs générations. Il intervient auprès de chaque membre de la famille, il bouge, en maniant l’ironie, l’humour, la compassion et la curiosité tout en montrant beaucoup de cette humanité, qui fait cruellement défaut dans certaines pratiques de soins.

Etre tactique ne l’effraye nullement. Ainsi, Carl Whitaker racontait lors d’un congrès à Bruxelles organisé par Mony Elkaïm, la séquence suivante : bloqué dans les patterns relationnels en séance avec une famille, il simulait une conversation téléphonique avec Salvador Minuchin, superviseur supposé de sa pratique ; il décrivait alors à haute et intelligible voix les impasses relationnelles dans lesquelles il se débattait. La famille croyait réellement qu’ils étaient entrain d’échanger au téléphone ! Puis, il reprenait la séance avec la famille, en verbalisant les réponses imaginaires de Salvador Minuchin et reprenait le contrôle de son cadre de thérapie, à partir des réactions des membres de la famille à cet artefact.

En 1957, la thérapie familiale sort officiellement de la clandestinité à Chicago, où se tient le premier colloque consacré à la clinique familiale. Le thème en est « recherche sur les familles », il est organisé par l’American Orthopsychiatric Association, dont l’orientation est plus sociale et plus consacrée à l’enfance. Virginia Satir, Murray Bowen et Don Jackson s’y rencontrent.

Ce colloque favorise l’émergence de deux groupes de recherche et de pratique pour les thérapies familiales, qui succèdent au « Collège invisible » de Palo-Alto. Dès 1960, Gregory Bateson s’éloigne des recherches en psychiatrie et s’intéresse aux apprentissages entre les dauphins et leurs instructeurs.
Le «  Mental Research Institute  » innove en 1959 et jusqu’en 1968. Don Jackson et Virginia Satir, Paul Watzlawick et Jay Haley en sont les animateurs ; il en émane le « Brief Therapy Center », à l’origine des thérapies brèves ou centrées sur la recherche de solutions, plutôt que l’affinement diagnostique.

Jay Haley et John Weakland , fondent la première revue de thérapie familiale en 1962 « Family Process ».

- Les thérapies Familiales (I)
- Les thérapies Familiales (II)
- Les thérapies Familiales (III)

François-Xavier Colle est psychologue, psychothérapeute individuel et familial, formateur et superviseur. Il est membre de l’EFTA, association européenne des thérapeutes familiaux crée par Mony Elkaim ; Président d’honneur de ACV (Aide aux Choix de Vie, structure d’insertion professionnelle pour les populations marginalisées, crée par Anne Bedouelle) ; membre actif de CDM (Couleurs Du Monde, parrainages à Madagascar et en Inde des familles démunies).

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