La suspicion, une protection ou une perversité ?

Par François Paul-Cavallier


Au nom de la protection des usagers contre les risques des charlatans et des sectes qui sont bien réels on jette la suspicion sur tout ce que l’on ne connaît pas en y mettant pêle-mêle sans aucune distinction des pratiques ésotériques, des remèdes traditionnels (dit remèdes de bonne femme) et des approches en psychologie qui sont de réelles avancées conceptuelles, le tout associé à des agissements parfois coupables d’individus malhonnêtes. C’est oublier que ce qui constitue une secte n’est pas la teneur des croyances qu’elle affiche, mais la gestion du pouvoir en son sein.

La mise en garde d’un danger avéré et ponctuel est une nécessité absolue, les adultes protecteurs apprennent aux petits enfants à ne pas introduire d’objet dans les prises électriques mais pour accéder à l’autonomie il faudra plus tard montrer comment on branche un appareil électrique en mettant la fiche dans la prise ! La rue, la mer, la montagne, la météo, parfois les autres humains présentent un danger mortel et pourtant nous savons qu’avec un minimum de précautions adéquates nous pouvons profiter des joies de la vie en limitant les risques de manière suffisante. Élaborer des procédures pour apprendre à chacun comment fonctionner en sécurité dans la vie est le propre de l’éducation, une responsabilité dévolue avant tout aux parents, puis aux enseignants et enfin à la communauté tout entière. Cette sécurité de « bon sens » est un état transmissible d’une génération à l’autre, c’est un état d’esprit individuel et collectif.

La loi est là pour fixer les limites de ce qui est permis, de ce qui est interdit parce que dommageable. Si elle remplissent bien leur rôle les institutions comme la police et la justice garantissent à chacun une sécurité collective tant pour les biens que pour les personnes. Nul besoin d’avoir des chasseurs de primes, ni des aventuriers ou des mercenaires pour protéger des intérêts particuliers.

Pour entreprendre, il est indispensable d’assumer une part de risques, le premier risque est celui de ne pas réussir, peut être aussi parfois d’avoir mal apprécié la réalité. Souvent l’échec apprend plus que la réussite. Le sportif sait qu’il ne peut gagner à coup sûr et ses compétences résideront dans sa capacité à renouveler la tentative jusqu’au succès. Imaginez un sauteur à ski entraîné à base de messages sécuritaires l’informant que s’il loupe son coup de rein en bout de tremplin, il finira sa vie en chaise roulante !

Tout projet comporte des risques comme des récifs sur la route du navigateur. Les Cassandre ne sont pas de bons coachs. Il en existe chez les parents, ça ne fait pas des enfants heureux ou entreprenants. Il en existe chez les enseignants cela ne stimule pas les élèves qui finissent par se résigner. Il en existe aussi chez les soignants, cela n’aide pas les malades sur le chemin de la guérison. Il existe aussi pléthore de Cassandre zélées, parfois bénévoles, parfois corporatistes et intéressées qui font simplement groupe de pression en répandant la calomnie sur des professions dont ils aimeraient récupérer la clientèle.

Nous voyons cela depuis quelques années dans le domaine de la santé dans une chasse aux soi-disant charlatans et dans une lutte contre les sectes. L’application de la loi sur l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie est suffisant pour réglementer la profession, de même que la publication d’une liste des sectes identifiées et clairement repérées. Point n’est besoin que de manière incontrôlée et non mandatée par la loi des justiciers s’arrogent l’autorité auto-proclamée d’amalgamer des outils, des courants de pensée, ou des écoles à des sectes. Les outils, par définition, sont innocents, ceux qui les utilisent portent la responsabilité de leur utilisation. Mettre en garde d’un danger est un devoir citoyen, jeter la suspicion sur tout est non seulement un nouveau danger qui installe la peur, mais une perversion qui éloigne ceux qui pourraient bénéficier d’une aide, et développe un nouveau sectarisme.

Puisque nous sommes sur un site consacré aux Sciences Humaines examinons ce qui se passe depuis quelques années dans le champ des psychothérapies. Avant d’entrer dans le vif du sujet rappelons quelques poncifs : Les personnes qui commettent des actes répréhensibles n’engagent qu’elles-mêmes mais ne peuvent en aucun cas être amalgamés avec la discipline qu’elles pratiquent. Le docteur Petiot, le docteur Mengele ou plus récemment le docteur Luc Jouret de la secte du Temple Solaire ne mettent pas en cause la richesse de la médecine pas plus que le docteur Alain Bombard ou le docteur Albert Schweitzer n’en garantissent la générosité.

Nous devrions tous nous retrouver d’accord sur le fait que les années d’études contribuent à l’accumulation de savoir faire dans le domaine scientifique mais ne garantissent en rien les notions d’éthique, de compassion ou d’honnêteté intellectuelle, cela ne se mesure pas en bac +7 les sans diplôme en sont parfois mieux pourvus que les premiers. Nous avons dans les faits-divers des exemples réguliers où des « têtes » ont dérapé dans l’horreur ; un polytechnicien qui tue femme et enfants, un célèbre sexologue de réputation internationale qui se révèle être un fornicateur avec ses clientes, un médecin collectant des fonds pour la lutte contre le cancer qui pioche allègrement dans la caisse.

Doit-on mettre en garde contre l’école Polytechnique, contre la sexologie ou priver les associations d’entraide de ressources ? La suspicion comme la calomnie part d’un élément vrai extrapolé puis amalgamé pour faire un tout sans discernement dans l’opinion.

Souvent pour expliquer la calomnie aux enfants je leur raconte :
Un jour un magicien qui se voulait gentil utilisait un oreiller pour informer que les oiseaux risquent de dévorer les récoltes et de provoquer la famine.

À chaque déclamation invitant à exterminer les oiseaux il lançait une poignée de plumes qui se répandaient au gré du vent, il y en eut vite partout pour rappeler le noir présage. Le roi qui savait que les oiseaux n’étaient pas que mauvais et qui savait distinguer entre ceux de la mer, ceux qui ne mangent que des insectes et ceux qui font le ménage en mangeant les rongeurs et les animaux morts convoqua le magicien pour lui demander des comptes. Un monde sans oiseaux serait bien triste et aussi en difficulté. Les forêts de chênes sont plantées par les geais qui perdent des glands, des espèces de poissons se répartissent dans les étangs avec des œufs qui restent accrochés aux pattes des oiseaux.

Le magicien plaida qu’il voulait simplement aider les pauvres paysans qui n’ont plus assez de blé pour faire du pain, et puis les plumes qu’il jette sont si légères qu’elles ne peuvent blesser personne… il finit par avouer que les paysans l’avait payer pour diffuser cette fausse nouvelle et lui avait donné leurs oreillers pour répandre partout les plumes du mauvais présage. Le roi aurait bien voulu envoyer au bagne ce magicien malhonnête, il aurait pu aussi lui faire couper la tête, mais ça n’aurait pas été très efficace pour protéger les oiseaux. Il le condamna, pour réparer sa faute à ramasser toutes les plumes. Le magicien commença, mais le vent emportait toujours des plumes plus loin, il ne put jamais réparer le mal qu’il avait fait. C’est pour cela qu’il y a encore des chasseurs qui tuent les oiseaux !

Au nom de la protection des usagers contre les risques des charlatans et des sectes qui sont bien réels on jette la suspicion sur tout ce que l’on ne connaît pas en y mettant pêle-mêle sans aucune distinction des pratiques ésotériques, des remèdes traditionnels (dit remèdes de bonne femme) et des approches en psychologie qui sont de réelles avancées conceptuelles, le tout associé à des agissements parfois coupables d’individus malhonnêtes. C’est oublier que ce qui constitue une secte n’est pas la teneur des croyances qu’elle affiche, mais la gestion du pouvoir en son sein. Dans mon rôle de formateur en psychologie, je reçois en supervision des soignants hospitaliers, des médecins, des psychothérapeutes en formation qui utilisent les outils de la psychanalyse, différentes approches de la psychologie humaniste, ils ne comprennent pas en quoi ces outils sont utiles entre leurs mains et deviennent soi-disant un danger sectaire quand ils sont utilisés par d’autres non-médecins qui sont parfois leurs enseignants.

Il est un mythe auquel il faut tordre le cou, c’est celui qui affirme qu’une profession saurait mieux que toutes les autres discerner le vrai du faux ! La plupart des sites Internet qui jettent la suspicion sur des approches thérapeutiques non-médicales invitent à « demander conseil à son médecin » alors que si l’approche est non-médicale il est probablement le moins compétent pour donner un avis puisqu’il n’y est pas formé. Nombre de médecins généralistes se plaignent de ces questions qui leur sont posées par des patients angoissés qui les croient tout-puissants et aptes à donner un conseil sur tout, quant au divorce, à la scolarité des enfants ou à la souffrance du chômage et du deuil. Souvent ces praticiens se plaignent comme les enseignants du peu de temps (juste quelques heures) consacré à la psychologie et à la gestion de la relation dans leur cursus universitaire.

Les pionniers qui apportent des innovations dans leurs champs de spécialités sont toujours contestés par les conservateurs établis qu’ils dérangent. Ils prennent des risques et les archaïsmes qu’ils tentent de bousculer les poussent parfois à des erreurs et des excès, mais c’est à ce prix que le monde progresse. Nous connaissons tous les dérives qui ont abouti à des procès avec le plus souvent un rappel à l’ordre ou un non-lieu. Les psychiatres Elisabeth Kübler-Ross et Bruno Bethelheim, Jacqui Lee Schiff et bien d’autres ont eu à faire face à des dépassements de limites dans leurs actes qui n’ont pas à être excusés mais cela n’invalide en rien les hypothèses et certains concepts qu’ils ont élaborés. Ne jetons pas trop vite le bébé avec l’eau du bain !

Un dernier point important concerne la maladie psychique terme pudique pour nommer la maladie mentale : la folie. C’est un monde d’extrême violence, la maladie est une violence tant du côté des patients que des soignants qui y sont exposés. Les traitements n’échappent pas à l’empreinte de cette violence même si les apparences, aujourd’hui, peuvent les présenter comme moins invasifs : la camisole peut être de toile ou chimique, les électrochocs peuvent être renommés sismothérapie ou électrothérapie ils laissent encore des hématomes, la contention reste la seule solution d’urgence pour protéger un malade violent ou son entourage. La perversion serait de confondre les tâtonnements et les erreurs avec des projets délibérément nuisibles pour rester dans une orthodoxie mortifère.

Toutes les démarches pédagogiques, la plupart des approches psychologiques ou spirituelles ont été dévoyées par des sectes : les apprentissages (la Dianétique fait du soutien scolaire), la prière, le jeune, la veille, la suggestion, la visualisation, la psychanalyse. Au même titre la contention, l’isolement, l’épuisement et tous les moyens de coercition, sont des outils utilisés par les militaires du monde entier, les mettre en cause pour eux-mêmes c’est se tromper de cible. Le sage montre l’étoile l’imbécile regarde le doigt ! C’est aussi ridicule d’accabler la méditation utilisée dans certaines sectes que d’accuser EDF ou La Poste utilisés par ces mêmes sectes pour fonctionner ou faire leur promotion par mailing. Méfiez-vous de la suspicion qui prétend protéger les faibles le goulag n’est pas loin !

- François PAUL-CAVALLIER
Formateur en psychologie
- Contacter François Paul-Cavallier

Publication proposée par : Paul-Cavallier François

François Paul-Cavallier est formateur en psychologie et auteur de nombreux ouvrages sur la psychothérapie et le développement personnel.
f.paul.cavallier@online.fr
http://f.paul.cavallier.free.fr/

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