Va dans ta chambre ! Et n’en ressors qu’avec le sourire …

Par Pascale Materne


Va dans ta chambre ! Et n'en ressors qu'avec le sourire (...)

Certains spécialistes de l’éducation nous disent que cadrer un enfant, lui mettre des limites c’est l’aider à se structurer, c’est le préparer à une vie en société où tôt ou tard il devra apprendre à accepter qu’il n’est tout pas puissant. Ils me semblent avoir raison. D’autres nous disent qu’il faut être attentif à son ressenti, à ses émotions afin de lui permettre de découvrir que le partage émotionnel peut l’aider à apaiser ses peurs ses tristesses, ses colères. Ils me semblent avoir raison également.

Pourtant les uns nous parlent de fermeté et les autres de souplesse. Alors comment faire en tant que parent bienveillant, investi dans l’éducation de ses enfants pour combiner le tout afin d’avoir des enfants le plus épanouis possibles, la famille la mieux équilibrée qui soit.

Je ne crois pas aux recettes magiques en matière d’éducation. J’aimerais néanmoins montrer l’existence de l’un ou l’autre pièges régulièrement identifiés dans ma pratique de psychologue formée à la thérapie Brève Stratégique modèle de Palo Alto.

Nombreux sont les parents qui rêvent d’une famille sans aucun conflit et d’enfants toujours heureux, puisque bien élevés, ne manquant ni de cadre ni de limite ni de dialogue. Certains d’entre eux cherchent alors à « contrôler » non seulement le comportement de leurs enfants « fais pas ci ; fais pas ça » mais aussi la manière dont leurs enfants vivent les règles familiales « ressens ceci, ressens cela ! ». Ils demandent à leurs enfants non seulement de respecter les règles et les limites familiales, ce qui est bien sûr légitime, mais en même temps, puisque c’est pour leur bien, ils leurs demandent d’accepter la limite, la contrainte voire la punition, sans colère, avec le sourire.

Les enfants qui vivent dans ces familles ont de la chance bien sûr d’avoir des parents aussi soucieux de leur éducation et de leur bien-être. Pourtant certains d’entre eux sourient de moins en moins et il arrive, malgré tous les efforts déployés par les parents, que leurs colères s’exacerbent ou se transforment en rage. Les parents alors, parfois au bord de la panique, consultent un psychologue ou tout autre « psy » et lui demande d’aider leur enfant « à problème ».

Face à ce type de situations familiales, se concentrer sur l’enfant stygmatisé ne me semble certainement pas l’approche thérapeutique la plus efficiente. Il me semble bien plus utile en premier lieu d’aider les parents à percevoir le cercle vicieux qui s’est installé entre eux et un de leurs enfants : ils mettent un cadre et leur enfant y réagit avec colère ; plus ils essayent de le raisonner, de le calmer, plus leur enfant s’énerve et plus l’enfant s’énerve, plus ils risquent eux aussi de perdre leur calme.

Le problème, ce n’est pas l’enfant, ce sont les interactions chronicisées entre eux.

Un autre cercle vicieux fréquent dans ces familles peut se décrire comme suit : les parents sont conscients qu’il faut mettre des limites aux enfants mais ils se disent que leur enfant est fragile, sensible ne fusse que temporairement. Ils essayent alors de lui épargner les frustrations en attendant qu’il se renforce. « On lui donnera des limites quand il sera fort assez pour les supporter avec le sourire » Et là de nouveau, les efforts déployés par les parents non seulement ne portent pas leurs fruits, l’enfant ne devient pas plus fort, mais au contraire il se fragilise. Il devient « hypersensible » à la moindre frustration.

Il est connu qu’un médicament inefficace dont on augmente le dosage ne provoque que des effets secondaires supplémentaires. Il en va de même dans les relations humaines quand une réaction répétée ne donne pas le résultat escompté alors la même réaction répétée d’avantage non seulement ne solutionnera pas le problème mais aggravera la situation. Un ou plusieurs cercles vicieux se créent et le rêve d’une famille idyllique peut se concrétiser par un quotidien éreintant voire infernal.

Quand les parents découvrent à l’aide du questionnement du thérapeute dans quel cercle vicieux ils sont tombés : « plus j’essaie de calmer mon enfant, plus il s’énerve » ou « plus je le protège, plus il devient fragile », une première étape est franchie.

La seconde et pas la plus simple est, pour l’intervenant, de les amener à arrêter de faire ce qui ne fonctionne pas. En effet, c’est difficile d’arrêter de raisonner, de calmer de protéger un enfant surtout quand on a longtemps cru que c’était la meilleure solution. Pour les aider, le thérapeute est souvent amené à leur faire tester, au moyen de tâches prescrites, les effets de réactions radicalement différentes.

Pour illustrer ce propos, prenons le cas d’une petite fille de 3 ans. Sa maman, divorcée depuis un an, s’inquiète la voir de plus en plus capricieuse. Elle sait que la petite est trop gâtée quand elle va en visite chez son papa alors elle essaie de compenser. Cette maman, qui a lu beaucoup de livres sur l’éducation, cherche à lui mettre un cadre clair, à lui donner des limites. Elle lui demande des petites choses comme ranger ses jouets avec elle. Elle essaie de lui dire « non » de temps en temps pour l’habituer aux frustrations. Sa petite fille a, malgré tout cela, des réactions de plus en plus violentes, au point de la frapper régulièrement.
Cette jeune dame ne comprend pas pourquoi sa petite fille n’arrive pas à faire avec le sourire ce qu’elle lui demande ou à l’accepter avec le même sourire. Elle veille à toujours expliquer ses quelques refus et ses demandes légitimes, elle devrait donc comprendre que c’est pour son bien. Cette jeune mère s’inquiète de plus en plus parce que quoi qu’elle fasse, les crises de colères de la petite princesse sont de plus en plus fortes. Rien ne la calme. Il est impossible de la raisonner. Elle a beau mesurer les frustrations qu’elle lui impose, sa fille les supporte de moins en moins. Elle est donc convaincue que la petite a un problème.

Cette situation s’est rapidement améliorée parce que cette maman a perçu les cercles vicieux qui s’étaient installés et a osé tester les tâches qui lui avaient été données. Pour mieux protéger son enfant, elle devait désormais non pas lui réduire les frustrations mais les augmenter afin qu’elle puisse s’y habituer. Un peu comme quand on désensibilise un enfant allergique en lui injectant régulièrement de petites doses d’allergène. Elle a compris également que puisqu’il était totalement inefficace de demander à sa petite fille de se calmer une fois qu’ elle était en colère, elle ne pouvait pas faire pire en lui proposant de crier sa frustration du mieux qu’elle pouvait sans bien sur céder ou concéder à la demande initiale.

L’effet de ce genre d’intervention peut se révéler presque magique tant les résultats peuvent être rapides mais l’explication est juste logique si on se focalise sur ce qui se passe au sein de la relation entre l’enfant et ses parents.

L’enfant ne se retrouve plus dans le cercle vicieux où plus on lui demande de se calmer, plus il s’énerve et donc, plus il se sent inadéquat et incapable de répondre aux attentes de ses parents donc encore plus mal, encore en plus en rage.
Une fois sa colère autorisée et acceptée comme l’expression normale d’une frustration, le retour au calme se fera bien plus naturellement et permettra en outre à l’enfant d’apprivoiser sa colère, de découvrir son meilleur moyen de défense. L’enfant pourra, en effet, progressivement, expérience de vie par expérience de vie, faire la part des choses et expérimenter que parfois sa colère l’aide à se faire respecter, à réclamer justice, à demander une réparation et que parfois il s’agit de rage qui, une fois exprimée, l’aidera à accepter qu’il n’est pas tout puissant, qu’il n’est malheureusement ou heureusement pas le roi du monde.

Les parents, quant à eux, sortent également de facto du cercle vicieux dans lequel ils étaient puisque avoir un enfant qui se met en colère en face d’eux alors qu’il lui ont demandé de le faire est une situation diamétralement opposée à celle d’un enfant qui se met en colère alors qu’ils lui ont expressément demandé de ne pas le faire . Dans le premier cas de figure, ils retrouvent du contrôle sur la situation : l’enfant obéit. Dans le deuxième cas, ils finissent systématiquement par perdre le contrôle : l’enfant continue à désobéir….

Que l’enfant continue à désobéir quand on lui demande de ne pas se mettre en colère c’est-à-dire de ne pas ressentir ce qu’il ressent, n’est d’ailleurs pas le pire des cas. En effet, les enfants qui parviennent à réellement ne plus ressentir de la rage ou de la colère, quel que soit le contexte, me semblent bien plus en danger ou dangereux que les autres, les petits rebelles.

On ne peut être naïfs et imaginer que tous les enfants du monde seront en permanence entourés de bienveillance.

Même si elle n’a guère bonne presse, la colère comme toute les émotions a son utilité ; celle de permettre à chacun de défendre son territoire. Sans elle, nos enfants sont condamnés, à tôt ou tard, devenir des victimes de la cour de récré, ou dans leurs futures relations d’adultes.

C’est d’ailleurs ce qui était arrivé à un petit garçon de 6 ans qui avait trop bien écouté sa maman. Après une violente dispute avec sa petite sœur qu’il avait failli étouffer, par pur accident, il était effectivement parvenu à supprimer la colère de son répertoire émotionnel. Il avait 4 ans à l’époque et plus jamais, depuis, il ne s’était mis en colère. A la maison tout se passait parfaitement. Mais à l’école, la cour de récréation ressemblant parfois plus à une jungle qu’a une famille idéale, il n’avait pas fallu 2 ans à ce petit garçon, devenu trop gentil, pour être terrorisé, humilié par ses petits camarades de classe.

La protection de sa maman et de son institutrice n’était là que pour signifier à tous qu’il était une proie facile. Heureusement, très vite ce petit garçon a compris ainsi que sa maman que ne plus oser montrer les dents était aussi dangereux pour les relations que de mordre sans modération. Il m’a ému quand de lui-même à la deuxième séance il m’a dit « J’ai compris ! Avant c’était trop et ce n’était pas bien et maintenant c’est trop peu et ce n’est pas bien non plus … On va apprendre à faire au milieu ? »

A viser la famille « parfaite » sans conflit, sans colère entre ses membres, ce qui me semble être une pure utopie, cette maman pourtant bien intentionnée avait failli, comme bien d’autres, perdre ses chances de créer une famille où il fait bon vivre où l’on peut apprendre petits conflits par petits conflits, à défendre son territoire et à entretenir des relations saines tant avec ses pairs qu’avec ceux qui représentent l’autorité.

En conclusion, pas de recette magique pour bien élever ses enfants. Juste une piste de réflexion peut-être. Il me semble qu’il n’y a pas à choisir en matière d’éducation entre le cadre et l’écoute. Le débat ne me semble pas être fermeté ou souplesse. Une piste praticable me semble être d’opter pour les deux la fermeté et la souplesse mais pas au même niveau. Avec nos enfants, soyons fermes sur le fait qu’ils doivent faire leur devoir, mettre la table ou aller au lit mais souples sur le fait qu’il le fasse avec le sourire ou en râlant. Cela pourrait nous éviter de faire pire en croyant faire mieux. Il est important de de les aider à respecter les règles mais il n’est pas important qu’il le fasse avec le sourire !

Pascale Materne est licenciée en psychologie expérimentale (1988) à l’UCL. Elle s’est d’abord formée à la thérapie comportementale pour suivre ensuite toute la formation en thérapie brève à l’Institut Gregory Bateson ainsi qu’une formation à l’hypnose conversationnelle et une spécialisation clinique avec l’équipe de Giorgio Nardone.

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