Rencontre

Une approche plurielle de la thérapie

Thierry Melchior


Une approche plurielle de la thérapie

Comment comprendre l’étonnante multiplicité des écoles de psychothérapie existant actuellement ?

Pour un certain nombre de thérapeutes, c’est là une question qui ne se pose purement et simplement pas : ils se contentent d’adhérer sans réserve à leur doctrine thérapeutique de référence, considérant qu’elle est la seule vraie, toutes les autres n’étant qu’un tissus d’erreurs, d’errements et d’errances idéologiques. Et cette position leur paraît d’autant plus juste que leur pratique thérapeutique débouche suffisamment souvent sur des résultats qui les satisfont, et que, quand tel n’est pas le cas, ils considèrent que c’est de la faute du patient (pas assez motivé ou trop résistant) ou, plus héroïquement, de la leur (pas assez d’expérience, manque de compréhension en profondeur de la théorie), jamais en tous cas, celle de leur doctrine de référence.

C’est que, pour le thérapeute, sa théorie est quelque chose de précieux. Sans même parler du temps, de l’énergie et des efforts financiers qu’il a dû consentir pour se former, et c’est souvent considérable, sa théorie représente un morceau de son identité. Peu de psychothérapeutes se considèrent simplement "psychothérapeutes" : ils se disent plutôt bioénergéticien, transactionnaliste, analyste jungien, rogérien, programmateur neuro-linguistique, analyste, orthodoxe ou lacanien, kleinien ou néo-freudien, systémiste, psychodramatiste, ou Gestalt-thérapeute... Et cette identité, ils la partagent avec ceux qui, formés à la même école, font partie de la même Société. Adhérer à une doctrine de référence, c’est donc aussi faire partie d’un groupe en partageant ses croyances.

Et les Sociétés de psychothérapeutes, comme tous les groupes humains partageant des croyances, tendent presque inévitablement à tenir en suspicion ou en mépris plus ou moins affiché les croyances des autres groupes. Tout groupe humain tend à protéger ce sur quoi se fonde sa cohésion. Or, on ne peut pas commencer à s’intéresser, avec une certaine ouverture d’esprit, à des théories qui professent sur un même objet des vues divergentes, sans risquer de vivre certains doutes et certains inconforts théoriques qui, à terme, peuvent menacer l’unité groupale. Comme celle-ci a les moyens de se défendre, il s’agit pour le thérapeute de rester suffisamment en accord avec ses corréligionaires.

C’est pourquoi nombreux sont ceux qui utilisent régulièrement les oeillères, très pratiques pour conserver la foi en la doctrine. Il faut bien dire à leur décharge que les doutes et les inconforts théoriques risquent toujours de se propager jusque dans les séances avec les patients, et que ce n’est pas toujours facile à supporter : la première vertu d’une théorie thérapeutique, c’est d’être anxiolytique pour le thérapeute.

Toutes ces raisons expliquent le peu de réflexions consacrées par les thérapeutes au fait même de la multiplicité des approches thérapeutiques.
La conséquence, malheureusement, pourrait bien en être une énorme perte pour la psychothérapie dans son ensemble.

Il est clair, en effet, que ce n’est pas en termes de vérité ou de fausseté qu’il y a lieu d’évaluer les discours théoriques des psychothérapies. Ces discours théoriques ne réfèrent pas purement et simplement à l’objet qu’ils prétendent décrire et théoriser (à savoir les comportements et des manières d’être de l’homme, leurs causes, les manières d’agir sur elles en même temps que les raisons pour lesquelles ces procédés sont efficaces...) parce qu’ils interagissent avec cet objet : cela veut dire que les manières d’être et les comportements du patient sont d’emblée affectés par le comportement verbal et non-verbal que le thérapeute manifeste à son égard, comportement qui dépend notamment de ses croyances théoriques.

Ainsi, par exemple, un thérapeute transactionnaliste qui croit en quelque chose comme les Etats du Moi (Parent, Adulte, Enfant, etc., dont Eric Berne disait qu’ils existent réellement) aura tendance, délibérément ou non, à avoir des comportements bâtis sur la présupposition qu’il existe de telles entités chez son patient. Ces comportements verbaux et non-verbaux du thérapeute auront pour effet de favoriser tout comportement ou manière d’être du patient susceptible d’être décodé en termes d’Etats du Moi : ainsi, par exemple, les polarités, les "Il faut que je" et "Je dois absolument" d’un côté, et les "j’aimerais bien", "j’ai envie de" de l’autre seront systématiquement pointés, soulignés, renforcés, fut-ce minimalement par quelques haussements de sourcils thérapeutiques. Peu à peu, si le processus suit son cours, le patient réagira d’une manière tout à fait congruente avec la théorie bernienne, il se conformera à la grille de lecture de l’Analyse Transactionnelle en se découvrant un Parent, un Adulte et un Enfant, et le thérapeute aura la joie, une nouvelle fois de voir confirmée la théorie à laquelle il adhère. Ceci vaut non seulement pour l’Analyse Transactionnelle, mais aussi, on peut le montrer, pour toute forme de thérapie.

Ce processus de conformation/confirmation est en fait bien connu des thérapeutes. Ils savent que si une mère considère son enfant comme particulièrement faible et fragile, elle ne manquera pas de se comporter avec lui d’une manière qui amènera celui-ci à se conformer à cette définition et par là à la confirmer. En quoi son discours lui viendra de l’Autre, pour parler comme Lacan, sous une forme inversée.

La théorie de cette mère sur son enfant est un exemple de self-fullfilling prophecy (prédiction qui se réalise d’elle-même) et l’interaction dans laquelle elle se réalise est un exemple d’Effet Rosenthal (ou Effet Pygmalion). Nous sommes ici tout près, bien sûr, de ce que l’hypnose connaît sous le nom de suggestion.
Il est amusant de constater à quel point il est aisé aux thérapeutes de débusquer ce genre d’effet dans leur clinique et de le méconnaître au cœur même de leur praxis.

Reconnaître que la tâche aveugle de toute doctrine thérapeutique se situe au point où elle cesse de ré-férer à son objet précisément parce qu’elle inter-fère avec lui constitue pourtant la condition d’une élaboration rigoureuse de leur statut épistémologique. C’est à partir de là qu’il devient possible de penser les thérapies comme des entreprises de création de sens, et qu’il devient possible de les penser, ainsi définies, non plus conflictuellement dans le dogmatisme et le sectarisme, mais dans une approche plurielle capable de tirer parti de leur diversité.

Thierry Melchior est Licencié en Philosophie (U.L.B.) et Licencié en Psycho-pédagogie (U.E.M.).
Il travaille actuellement en pratique privée (à Bruxelles).
Il a été l’un des membres fondateurs de l’Institut Milton H. Erickson de Belgique, puis de l’Institut Milton Erickson du Nord de la France (à Lille). Avec l’Institut Erickson de Belgique, il a participé au tout début du retour à l’hypnose en Belgique francophone dans les années ’80.
Il a également été à l’origine de la Société Belge d’Hypnose de Langue Française dont il a été le premier Président.
Il donne des conférences, des ateliers et des formations en hypnothérapie et en thérapie brève d’inspiration éricksonienne en Belgique et ailleurs.
Il a publié Créer le réel, hypnose et thérapie aux Éditions du Seuil en 1998 et 100 mots pour ne pas aller de mal en psy en 2003 aux Empêcheurs de penser en rond / Le Seuil, ainsi que de nombreux articles.

- http://www.thierrymelchior.net

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