Peut-on dire que la crise est en soi bénéfique ou maléfique ? Peut-elle nous faire grandir ?
La crise peut être source d’évolution mais aussi de destruction : avons nous le choix, lorsque la désorganisation et ou l’explosion arrive, d’être un contenant qui enferme ou qui libère. Autrement dit comment vivre la situation :en la contournant, en l’enfermant , en la traversant ou en lui donnant sens ?
En latin, " crisis " signifie phase décisive d’une maladie.
C’est un temps important et un moment critique. (crise d’asthme, crise cardiaque)
Sur le plan psychologique, l’idée de déséquilibre et de trouble (avec manifestations violentes) s’associe à un état de tension très forte (crise de nerf, crise de larmes) qui peut aller jusqu’au paroxysme.
Il y a dans la crise tout d’abord une rupture, une désorganisation. le système se dérègle. les règles habituelles ne fonctionnent plus ce qui donne un sentiment d’incohérence.
" les instances de contrôle ne peuvent ni tolérer ni réprimer le désordre "
(note 1 Kaes "crise, rupture et dépassement " Ed Dunod)
En grec, le mot " Krisis " intègre une idée de séparation,de jugement, :comment pouvons nous assurer la sécurité et garder les repères tout en respectant la transformation et l’évolution mise en route par le phénomène de crise ?
Avant d’envisager une expérience plus spécifique, celle du deuil, je vous propose un questionnement à partir de l’adolescence
La crise d’adolescence est provoquée par une poussée incoercible des forces de vie qui nous fait parler " d’explosion pubertaire ".
Si l’adolescent parle souvent de "s’éclater" ou de "péter les plombs", l’adulte ou le parent aurait plutôt tendance à vouloir le contenir, le maintenir dans la norme.
Face à l’explosion pubertaire sous ses nombreuses formes physique, émotionnelle, spirituelle, etc... quelle attitude allons-nous choisir ?
Mettre des limites et des freins pour ne pas être dépassé par les événements ?
Donner des bons conseils en restant bien extérieure à la situation.
Fermer les yeux en attendant que la crise se calme.
Exploser et contenir sont des éléments constitutifs de la vie de l’homme.
: pour grandir, avons-nous davantage besoin d’un espace sans limite ou d’une structure ?
L’explosion et l’éclatement sont-ils pour nous source de destruction ou d’évolution ?
Voyons tout d’abord comment l’explosion et l’éclatement peuvent être source, soit de destruction, soit d’évolution.
L’explosion se caractérise comme une manifestation violente et brutale, "la libération très rapide d’une énergie stockée sous un volume réduit"
Le mot explosion contient en lui-même, la notion de mouvement vers l’extérieur, du centre vers les extrémités.
Comment ce phénomène apparaît-il dans notre vie ?
Que peut-il nous apporter ?
Si nous regardons l’origine du monde : le big-bang est une explosion fantastique à la suite de laquelle les éléments de l’univers se mettent en place et son expansion commence. "La séparation initiale des forces fondamentales de l’univers rend possible son auto-complexification et l’apparition de structures différentes, aux propriétés uniques, que le niveau d’organisation précédent ne permettait pas de prévoir."
Interrogeons la nature :
nous observons qu’après l’orage, l’atmosphère devient paisible et claire, comme lavée et libérée de la lourdeur préalable, l’eau est chargée de vie ;
et nous constations que les laves issues de l’explosion volcanique fertilisent les vallées ;
au printemps, les bourgeons explosent en fleurs multiples.
Chez l’homme, les explosions sont de durée et d’intensité variable. J’ai recensé, de façon non-exhaustive, l’éternuement, l’éclat de rire, l’orgasme, le saut de joie, la colère. Chacun présente le point commun d’être une libération d’énergie.
Et l’homme lui-même a inventé :
le moteur à explosion qui permet aux véhicules de se mouvoir,
le feu d’artifice pour manifester sa joie.
A travers ces exemples, nous repérons les avantages que peut nous apporter l’explosion : libération, renouveau, vitalité, évolution, etc.
Mais alors pourquoi en avons-nous souvent PEUR ?
Le danger vient de la soudaineté et de la vivacité de cette manifestation. Tout ce qui apparaît comme débordement ou déchaînement risque de détruire ou d’anéantir. La peur naît du manque de maîtrise du phénomène et du fait que certaines explosions (bombes) sont destinées à la mort. Effectivement, nous pouvons nous perdre dans certaines expériences, mais est-ce une raison suffisante pour choisir le confort et la sécurité très rassurante, et ne pas prendre de risque ?
QUE NOUS APPORTENT LES CADRES ET LES STRUCTURES ?
CONTENIR signifie renfermer, avoir en soi, retenir dans certaines limites. Il suppose une idée d’envelopper, d’intériorisation.
SE CONTENIR implique la notion de maîtrise, se dominer.
Dans la nature, l’écorce protège l’arbre, la coquille maintient le poussin en vie dans l’oeuf. La peau définit l’homme et le protège. Elle lui sert à communiquer avec l’extérieur, elle épouse ses formes et suit ses mouvements : sans membrane séparatrice, l’amibe n’existerait pas ; sans flacon, le liquide se répand ; et sans mur, la chaleur de la maison s’échappe.
Nous avons besoin de contenant, de limites et de repères pour nous individuer et nous autonomiser ; et pourtant nous nous sentons souvent à l’étroit, enfermés dans un cadre, tenus comme par une mère surprotectrice.
AVONS-NOUS LE CHOIX : FAIRE EXPLOSER LE CADRE OU CONTENIR L’EXPLOSION
Partons du postulat que la dualité prend toute sa dimension lorsque nous mettons les éléments en synergie au lieu de les opposer : le danger de l’anéantissement peut être conjuré par la connaissance des mécanismes de l’explosion.
Prenons l’exemple du phénomène électrique : les risques sont dosés car les fils électriques sont canalisés dans des gaines de protection et que l’électricité est utilisée selon des "normes de sécurité". Les règles de fonctionnement sont là pour protéger et encadrer.
Grâce à l’éclatement (le mot éclat signifie également lumière), nous entrons dans le foisonnement, le changement, nous libérons une richesse qui resterait, dans le cas contraire, définitivement enfermée et perdue, mais cet éclatement est soumis à une certaine organisation.
Pouvons-nous nous contenir sans exploser dans le temps et dans l’espace ? A un certain moment, le contenant n’a plus de raisons d’être. S’il demeure, il enferme et bloque l’évolution : à ce stade, la graine ne saura jamais quelle plante elle peut donner et le poussin mourra dans sa coquille.
Mais pouvons-nous exploser sans rassembler ? Lorsque la graine se déliquesse dans la terre, une force vitale l’amène à pousser et grandir sous peine de se perdre dans la terre.
COMME L’INSPIR ET L’EXPIR
FORMENT ENSEMBLE LA RESPIRATION
EXPLOSER ET SE CONTENRIR
SONT DEUX ELEMENTS
CONSTITUTIFS DE
L’EVOLUTION DE L’HOMME
REVENONS à l’adolescence :
si nous acceptons l’explosion et l’éclatement comme libérateurs de forces nouvelles, indispensables à la mise en route du processus de transformation, nous pouvons même les considérer comme des éléments moteurs de l’évolution et ne plus en avoir peur.
Grâce à notre connaissance des mécanismes de vie, nous ne cherchons pas à éviter "l’explosion pubertaire", mais à la baliser. Alors nous accompagnons le jeune dans son expérience et son processus de changement. Nous ne le contenons pas à tout prix, mais nous pouvons lui proposer des opportunités de dépasser ses limites sans danger (par la relaxation notamment). Comme la peau et l’écorce se modifient au fur et à mesure de l’évolution de l’homme et de l’arbre.
Erikson parle de " crise développementale" car l’adolescent est soumis à des forces de propulsion motrices et vitales qui viennent de ’intérieur et sont une opportunité de croissance.
Voyons maintenant une situation de crise particulièrement difficile : le décès d’une personne proche
La désorganisation est spécialement violente, et l’élan vital est souvent bien ténu ou enfoui. Kaes affirme que " la crise tient son ambiguïté fondamentale de ce qu’elle libère en même temps des forces de mort et des force de régénération " . ici, les forces mortifères sont spécialement menaçantes pour l’intégrité de la personne (envie de suicide, ne plus manger, risque d’accident etc.)
Du fait de l’intensité, le processus risque de prendre du temps.
Le choc touche tous les niveaux de la personne :physique (sommeil, appétit) émotionnel (colère, peur, tristesse) mental(capacité d’attention, mémoire, ) relationnel , spirituel (sens de la vie).
Les forces antagonistes se manifestent fréquemment : besoin d’être entendu dans sa tristesse/peur de gêner les autres ; envie de " se changer les idées "/ peur d’oublier ; Voir du monde/rester seul. Etre fort/s’écrouler.
Etre compréhensif/en colère. Avoir peur/être confiant. Se laisser aller/se battre. Etre dépendant/indépendant. S’écouter/ne pas s’écouter.
l’explosion ne fait aucun doute, et le chemin vers la restructuration n’est pas rectiligne :il y a des avancées et des reculs , ce qui accentue la sensation d’être sans repère stable.
La sécurité et le " contenant " peuvent se vivre à différents niveaux :
Physique : certaines personnes se lovent dans leur fauteuil ou dorment le dos collé contre le canapé ; d’autres ne se trouvent bien qu’à l’extérieur ou en voyage.
Emotionnel :incapacité à exprimer ses émotions de peur d’être débordé ou demande d’accompagnement par un thérapeute
Verbal :des groupes de paroles soutiennent les endeuillés.
Spirituel :la foi peut être considérée comme une aide
Plus que dans n’importe quelle crise, la traversée des émotions conduit doucement vers la reconstruction .Peu à peu l’absence s’apprivoise :et progressivement une nouvelle identité qui intériorise la personne décédée se met en place.
Véritablement en tension entre le passé et l’avenir ,chacun oscille à son rythme de la tristesse à la joie, de la déstructuration à la reconstruction, de l ’ancien (le connu) au nouveau pour reveiller les forces de vie, retrouver une certaine sérénité et " accepter l’inacceptable ".
Un certain nombre d’endeuillés témoignent que cette expérience les a fait grandir et qu’ils savent mieux désormais puiser dans leurs ressources intérieures.
Geneviève Manent est formatrice et thérapeute en relaxation et techniques corporelles.
Auteur de :
L’enfant et la relaxation, s’il te plaît apprivoise-moi
La relaxation au quotidien
La dualité, un atout : relaxation et visualisation pour passer du conflit intérieur à la puissance
Une alternative aux médicaments : Faites appel à la compétence de votre corps et retrouvez votre vitalité
(Ces livres sont publiés par les Editions "Le Souffle d’Or")