Les praticiens en relation d’aide (thérapeutes, counselors, coachs...) ont l’habitude de poser des questions.
Bien sûr, ce n’est pas leur seule façon d’intervenir ou de pratiquer leur métier, néanmoins le questionnement occupe une place prépondérante dans le métier.
Et c’est dans la pratique du questionnement que les impasses sont possibles. En effet, il existe deux orientations de questions possibles : tournées vers le praticien ou tournées vers le client.
"Tout ce qui se dérobe sous la main est,
ce soir, essentiel.
L’inaccompli bourdonne d’essentiel"
(René Char)
Le praticien peut orienter ses questions vers lui-même (et son client vers une impasse) avec la meilleure intention du monde.
S’il pose des questions orientées vers lui-même, cela signifie que sa curiosité est également tournée vers lui-même. Souvent ce seront des questions ayant trait au contenu, au sens, qui permettront au praticien de trouver du sens à ce qu’il entend.
Pourquoi cette curiosité tournée vers soi ? Peut-être parce que le praticien, inquiet de ne pas comprendre la problématique du client, tente par des questions "d’approfondissement" d’adoucir sa propre inquiétude.
Essayer de comprendre révèle un désir d’aider très humain, peut-être inspiré de la croyance que comprendre c’est résoudre, et de l’idée qu’une deuxième intelligence peut venir prendre le relais de la première là où elle bute. Et pourtant nous savons tous qu’il n’y a aucune cause à effet entre la compréhension que le praticien pourrait faire du sens immédiat de ce qu’exprime le client et la réussite de ce dernier en séance ! Il se pourrait même que, lorsque le praticien se rassure par une réponse —bien souvent convenue d’ailleurs— il risque d’augmenter l’inquiétude de son client.
Que le praticien ait des trous dans la tapisserie qu’il tisse avec le client, c’est de peu d’importance puisque sa zone d’influence se situe à un niveau autre que celui de la compréhension immédiate. Ce qui importe, c’est que ce soit le client qui remplisse les vides et les blancs. Le praticien est en interaction pour permettre au client de se transporter d’un espace saturé par le problème, vers un espace où il lui sera possible de savoir, de comprendre, de faire du sens.
Quand le praticien se met en quête du sens, il entre dans une démarche tournée vers lui, il remplit les vides et les blancs, certes, mais pour son propre compte, ce qui n’avance guère le client. Un avantage pour le praticien, nous l’avons vu, est de se rassurer. Un autre est d’asseoir sa place dans la relation, une place de pouvoir, le pouvoir de « l’intelligence des choses », le pouvoir du sachant. La question « pourquoi » est souvent de cette nature. Sauf lorsqu’elle vise à mettre à jour les intentions du client, lui permettre de verbaliser ce qui est important pour lui. Par exemple : « Je souhaite réussir cette mission – Pourquoi dites-vous cela ? – Parce que je me suis investi, parce que cette mission va permettre à toute l’équipe de [...] et que j’aime aller au bout de ce que je commence ».
Les questions de contenu orientées vers le praticien mènent, très souvent à une impasse. Une impasse est une voie sans issue, une voie dont le bout bute toujours sur le même mur. Tout client, avant devenir nous voir, a souvent investigué son problème dans tous les sens, a discuté celui-ci avec différentes personnes, s’est posé ou s’est fait poser de nombreuses questions, a élaboré beaucoup de réponses. Il y a de fortes chances pour qu’il ait déjà répondu aux questions du pourquoi posées par des personnes orientées vers elles-mêmes, c’est-à-dire orientées vers la compréhension immédiate. Et il aura répondu. Les mêmes réponses données à de mêmes questions, nous les appellerons des réponses convenues. Et ces mêmes questions, si le praticien les pose, alors qu’elles ont déjà été très souvent posées, recevront les mêmes réponses qui ont déjà été faites. Nous dirons que ce genre de question ne fait pas avancer la problématique du client, et font parfois même pire, elles peuvent impatienter, voire agacer et consolider le mur au fond de l’impasse.
Les questions orientées vers le praticien soutiennent le problème. Les questions orientées vers le client vont au contraire aider à le dissoudre.
Très souvent, les questions auront pour objectif de permettre au client de verbaliser à voix haute, pour lui, une idée, une histoire, une option, une réflexion... La quête d’un autre sens est pour lui, lui permettre d’étoffer une représentation de la réalité qui va dans le sens de ses souhaits, de ses envies.
Alors, nous imaginons qu’elles pourraient être de deux sortes :
1/ les questions interpellantes, curieuses, inattendues, bousculantes, improbables
En tant que praticiens, notre intention est de poser des questions qui transporteront le client dans un espace improbable, un espace interpellant, un espace auquel il n’a pas pensé. Un endroit bien peu visité ; un lieu que le problème n’a pas investi. Un lieu où le problème n’est pas présent. Un lieu improbable, voire « impossible », comme dirait Jacques Derrida, c’est-à-dire étranger à l’ordre des possibles, et non pas un espace inaccessible que l’on ne pourrait alors que renvoyer à plus tard. C’est cela « la déconstruction de l’impossible ».
Ce sont donc des questions de curiosité tournées vers le client. Des questions qui ont pour objectif de lui proposer de se transporter dans un espace de réflexion qu’il n’aurait jamais investigué sans cela. Ce sont des questions qui aident le client à révéler l’implicite, à inverser son point de vue.
2/ les questions du réel
A nouveau, nous imaginons qu’elles pourraient être de deux sortes :
Les questions qui prennent en compte les manifestations, les événements qui se passent, se déroulent pendant la séance, dans l’ici et le maintenant. Ce que l’on pourrait résumer trop rapidement par l’expression « questions de processus ».
Et les questions pour aider le client à quitter l’explicatif, voire le justificatif, pour entrer dans le descriptif. Ces questions-là lui permettront de se rapprocher au plus près de son expérience, de son vécu, de la complexité et de l’ambigüité inhérentes au réel.
Dans tous les cas, la finalité des questions orientées vers le client est la même : faire apparaître l’absent mais implicite.
Force nous est de constater que la compréhension du sens premier du discours du client par le pratiien est bien secondaire. Aucune démonstration n’a pu nous convaincre de la réussite d’un client qui serait due à la compréhension du contenu par le praticien. Celui-ci va avec le client vers la réussite, et le chemin n’en est pas la compréhension, mais la réorganisation de sens que le client effectue lui-même.
"Nous inventons des forces qui touchent les extrémités,
presque jamais le cœur"
(René Char)
Isabelle Laplante, Nicolas De Beer