La forte mobilisation des psychothérapeutes face à la loi "contre" la psychothérapie voulue par la Ministre Maggie de Block a permis d’empêcher provisoirement son application. Si les professionnels comprennent mieux les enjeux de ce combat il n’en est peut-être pas de même pour leurs patients/clients et à fortiori pour le grand public. Francis Martens nous détaille dans l’article qui suit les implications et les dangers réels de cette politique.
1) • La loi De Block supprime d’un trait de plume la profession – séculaire - de psychothérapeute – au profit de l’exercice d’actes techniques sur le modèle des soins médicaux (comme ceux d’un dentiste, par exemple) exercés par des praticiens « Lepss » reconnus (c’est-à-dire repris dans la loi sur l’exercice des professions des soins de santé) : médecins, psychologues, orthopédagogues ayant bénéficié d’une formation complémentaire dispensée à l’université
• ce faisant, elle méconnaît les nécessités spécifiques de formation, d’évaluation et d’organisation des praticiens de la psychothérapie, dont la compétence résulte certes d’une formation intellectuelle nécessaire - et plurielle - mais qui s’avère totalement insuffisante pour former des praticiens de la psychothérapie dignes de ce nom. En effet, le cheminement vocationnel, la maturation personnelle, la pratique supervisée par des pairs, sont de tout autre nature que les critères d’encadrement académique. Il est clair que la capacité de recul, d’empathie, de prise de conscience, de questionnement éthique, de proximité et de distance clinique bien tempérées, ne s’évaluent pas à l’université. Notons d’ailleurs que cette dernière a déjà beaucoup de peine à organiser de simples stages cliniques supervisés — nonobstant le fait qu’à ce niveau les exigences de compétence soient minimales et que la durée des stages ait été réduite de moitié par les accords de Bologne
• en réservant la formation à « l’acte psychothérapie » aux universités et aux hautes-écoles, incompétentes pour l’essentiel de cette formation, la loi annonce aussi la disparition d’anciens instituts de formation spécifiques et réputés (comme l’IFISAM, par exemple) dont certains (comme la Société belge de psychanalyse, fondée en 1946) sont plus anciens que la plupart des Facultés de psychologie du pays
• par ailleurs, la désignation de professions Lepss reconnues se base sur des critères administratifs et budgétaires, opportunistes et corporatistes — sans réflexion de fond sur la spécificité du domaine de la psychothérapie et de la psychologie clinique au sein des professions des soins de santé. C’est ainsi que l’orthopédagogie – évoluant dans un registre essentiellement institutionnel et éducatif – est reconnue comme « profession de soins de santé », mais non la psychomotricité bien que celle-ci relève d’un enseignement officiellement reconnu et d’une pratique clinique purement psychothérapeutique. Domaine donc du pur arbitraire, appuyé sur une solide ignorance du terrain, et signe ded surcroît de ce qu’en matière de santé mentale le législateur ne manifeste aucune notion de la différence entre santé et normalité.
2) • bien que totalement scotomisés par la loi De Block (probablement dérangée par la complexité de leur position d’interface entre psychique et somatique), les psychiatres ont encore le droit de bénéficier du code INAMI « psychothérapie » sans formation spécifique. Plus généralement, les médecins peuvent pratiquer « l’acte psychothérapie » moyennant un complément de formation minimaliste. Mais surtout, par privilège, ils peuvent poser tous les actes du psychologue clinicien. La réciproque heureusement n’est pas vraie. Inutile de souligner qu’on se trouve devant une logique purement corporatiste de non-réciprocité, de non-reconnaissance, et de subordination du psychologue à l’ordre médical
Dans cette logique, tous les actes du psychologue clinicien (notamment l’acte « psychothérapie ») se trouvent formatés et standardisés pour pouvoir correspondre aux exigences managériales de la techno-médecine des organes — d’où le privilège accordé à l’evidence based medicine, à ses guidelines et à ses « bonnes pratiques » (telle procédure, tel cadre budgétaire pour le diabète ; telle procédure, tel nombre de séances pour l’anorexie, etc.). Dans cette perspective, il est cohérent que les psychologues cliniciens dépendent désormais, pour leur agrément ou leur interdit d’exercer, des Commissions médicales provinciales.
3) • La loi De Block a des conséquences pénales : exercice illégal des professions des soins de santé et notamment de « l’acte psychothérapie ». Or, la description des actes dans le texte de loi – mis à part un changement de mots pour les désigner – est à ce point floue qu’il est impossible d’y distinguer le permis de l’interdit
tout particulièrement, elle ne permet en rien de différencier l’exercice de la psychologie clinique de celui de « l’acte psychothérapie »
pire que cela : dans la pratique, elle ne permet nullement de distinguer l’entretien de qualité réalisé par un(e) assistant(e) social(e) dans un SSM de celui d’un psychologue clinicien. Porte ouverte à tous les arbitraires.
4) • Rabattue sur le modèle d’un fonctionnement techno-médical dont elle est le nécessaire complément mais non une spécialité dérivée, la pratique de la psychologie clinique et de « l’acte psychothérapie » se voit de plus menacée par une érosion du secret professionnel rigoureux qui est une de ses caractéristiques. L’inclusion des actes du psychologue clinicien dans un dossier commun informatisé et obligatoire - consultable par tout praticien de la santé s’estimant concerné - est en préparation. Ceci s’oppose fondamentalement au code de déontologie des psychologues — actuellement mis à mal par la Commission des psychologues en matière de secret professionnel.
5) • La loi se réclame des avis circonstanciés de l’ancien Conseil supérieur d’hygiène mais, en supprimant la prise en compte des quatre principaux courants de pensée en matière de psychothérapie, elle s’écarte expressément de ses recommandations. En réalité, elle privilégie les seules pratiques comportementales car aisément rabattables sur le modèle techno-médical.
6) • Supprimée officiellement en Belgique au profit de « l’acte psychothérapie » conçu sur un modèle techno-budgétaire subordonné à la médecine, la profession spécifique de psychothérapeute est bien attestée, par contre, dans les pays européens. En Allemagne, se met sur pied un Master en psychothérapie. En Belgique, des troisièmes cycles universitaires forment à l’exercice de la profession de psychothérapeute, en ayant soin d’inciter les étudiant(e)s à une thérapie personnelle extra muros. De facto, nombre d’instituts de formation sont reconnus, comme est reconnue la fonction de psychothérapeute dans nombre d’institutions subventionnées.
NOTA BENE
Francis Martens, président de l’APPPsy
Francis Martens est psychologue, anthropologue et psychanalyste. Il a une longue expérience d’analyste auprès des enfants, des adolescents et des adultes. Il a été enseignant et formateur en psychanalyse (3ème cycle). Il est président fondateur de l’Association des Psychologues Praticiens de Formation Psychanalytique de Belgique(APPPsy) et du Conseil d’Éthique de l’Association des Services de Psychiatrie et de Santé Mentale de l’Université de Louvain (APSY-UCL). Il est également président du centre d’appui bruxellois (CAB) pour l’évaluation et l’orientation des auteurs d’infractions à caractère sexuel. |