Il est beaucoup question depuis les travaux de Daniel Goleman, d’intelligence émotionnelle. Longtemps, on a cru que réussir se vie dépendait d’un bon QI, c’est-à-dire d’un bon quotient intellectuel. Or, on se rend compte de plus en plus que la réussite ne doit pas grand-chose à notre niveau d’intelligence cérébrale et beaucoup à celui de l’intelligence du cœur, l’intelligence émotionnelle. Dans les relations amoureuses, c’est un cœur ouvert qui permet de maintenir la relation dans le temps, au-delà des petites querelles et des vicissitudes de tous les jours.
Avec les enfants, c’est un bon équilibre entre compassion et fermeté qui permet d’élever les enfants sans les rabaisser… ni leur permettre de tyranniser leurs parents. Et dans la vie professionnelle, combien de réussites ne sont-elles pas dues à une forte présence, une bonne dose d’amour propre et d’humour, de maîtrise, d’élan, d’attention à l’autre et l’art de le convaincre ou de susciter l’enthousiasme ? Toutes ces qualités ainsi que bien d’autres sont des facteurs d’intelligence émotionnelle que l’on peut mesurer. Qui dit intelligence émotionnelle dit « capacité à comprendre ses émotions et celles des autres. » Mais de quoi les émotions sont-elles le vecteur ?
La plupart des auteurs s’accordent à distinguer quatre grandes émotions de base : la colère, la peur, la tristesse et la joie. D’aucuns ajoutent une cinquième émotion : les uns vont rajouter le dégoût, d’autres l’amour… Peu importent les querelles d’école : ce qui est important de comprendre ici, c’est que les émotions de base vont offrir d’infinies variantes selon les besoins en jeu, leur intensité, leur retentissement et leur combinaison avec d’autres émotions.
Ainsi, la colère peut aller de la petite irritation à la crise de rage ou à l’agressivité chronique ; la peur, de la vague inquiétude à la crise de panique complète ou à la phobie ; la tristesse, de la déception passagère au désespoir le plus profond ou à la dépression ; et la joie, de la paix tranquille à l’exaltation la plus complète ou au fou rire. De même, la honte sera-t-elle le plus souvent un mélange de colère rentrée contre soi ou de dégoût teinté de tristesse ; dans la jalousie, on verra la peur associée avec la colère… Pour compliquer le tout, il faut tenir compte aussi des émotions parasites qui font écran à nos émotions authentiques.
Dans notre société, culturellement, les hommes sont plus encouragés à exprimer leur colère et masqueront leur peur ou leur chagrin derrière des manifestations de dureté apparente ; les femmes par contre sont conditionnées à ravaler leur colère. Ce qui ne veut pas dire qu’elles se laissent faire, Dieu merci.
Voilà donc déjà quelques clés pour décoder le langage émotionnel. Qui dit émotions - en dehors de la joie - dit généralement besoin frustré. C’est une énergie mobilisée pour tenter de combler un besoin en souffrance. Jusque là, tout va bien tant que chacun assume la responsabilité de ses besoins et se sert de l’énergie de l’émotion pour satisfaire ses besoins. Comme un programme de survie, La colère nous permet de protéger notre intégrité, la peur, de faire face au danger, la tristesse, de faire le deuil de nos attachements pour tourner la page. Les difficultés commencent lorsqu’on attribue à quelqu’un d’autre la responsabilité de nos propres besoins : c’est là que les relations se gâtent. Les accusateurs vont chercher un martyr sur qui déverser leur colère, les victimes, un bouc émissaire pour se justifier ou un saint-bernard auprès de qui se plaindre. Dans ce jeu de patate chaude, personne ne s’assume vraiment, et les choses ne risquent pas d’être réglées de sitôt. Chacun nie la responsabilité de l’émotion qu’il ressent et s’ôte le pouvoir d’obtenir ce qu’il veut vraiment. Il y aura donc du monde pour faire les frais de ce qui ne lui appartient pas. Ce jeu pervers poursuit les familles de générations en générations qui vont porter le poids de situations inachevées.
Ce triste cortège dépeint malheureusement la trame de bien des relations. Les jeux de pouvoir ne se jouent pas qu’en entreprise : les relations familiales sont d’autant plus polluées d’enjeux secrets que leurs membres sont investis de l’obligation de satisfaire ces exigences tacites. Que de non-dits, de regrets, de rancoeurs, de ressentiments… le ressentiment n’étant autre que le sentiment qui n’est pas dit. Il existe pourtant des approches simples et puissantes pour apprendre à écouter, reformuler, dire les choses clairement, parler pour soi et non pour l’autre, clarifier les liens ambigus et repositionner chacun à sa juste place.
Les approches de Gordon et de Rosenberg sur l’affirmation pacifique des besoins et de Bert Hellinger sur les constellations familiales vont dans ce sens. Sans parler de l’apprentissage de la communication, dans lequel on apprend à parler dans le langage de l’autre, selon ses préoccupations. Ainsi, John Ray s’est fait largement connaître avec sa célèbre série « Mars et Vénus » pour dépeindre le monde respectif des hommes et des femmes avec leur langage spécifique.
Au-delà de ce travail sur la relation, reste le travail à faire sur soi pour restaurer l’amour blessé et pardonner son passé. On rentre là davantage dans le travail de thérapie, longue ou brève. Une approche comme celle mise au point par Bob Hoffman par exemple offre un exemple magistral pour renouer avec sa famille, avec son histoire et en fin de compte avec soi-même. C’est dire que l’intelligence du cœur s’éduque et se rééduque. Il est temps de sortir du cliché selon lequel l’intelligence, qu’elle soit mentale ou émotionnelle, serait acquise une fois pour toutes.
S’il n’est jamais trop tard pour construire des relations heureuses, il n’est jamais trop tard non plus pour avoir une enfance heureuse.
Karin Reuter est psychologue, psychothérapeute et Directrice de l’Institut Hoffman France
Bibliographie :
Tim Laurence « 4 étapes pour commencer à vivre : les atouts du Processus Hoffman »
Daniel Goleman, « L’intelligence émotionnelle »
Daniel Goleman, en collaboration avec le Dalaï Lama « Supprimer les émotions destructrices ».