Le groupe comme "suprathérapeute"

par Gonzague MASQUELIER


La Gestalt thérapie s’est principalement développée dans sa forme groupale durant les années soixante-dix. En France, c’est également sous cette forme qu’elle fut introduite. Actuellement, il y a probablement autant de clients qui pratiquent la Gestalt en groupe qu’en individuel. Nous pouvons juste remarquer que les "débutants" formulent le plus souvent une première demande d’individuel, car cette formule semble plus traditionnelle (modèle médical ou psychanalytique qui imprègne notre culture) ou moins difficile ("en groupe ? je n’oserai jamais ! ").

Nous devons d’abord distinguer la Gestalt en groupe et la Gestalt de groupe.

- La première est la plus répandue en France. Elle s’intéresse aux individus, réunis dans un même lieu, avec un ou plusieurs Gestalt-praticiens qui proposent une alternance d’expérimentations collectives et de temps centrés sur un seul participant ; le groupe est alors un témoin, un amplificateur, une surface de projection, mais ses membres, sauf demande particulière du client ou du thérapeute, restent en retrait et n’interviennent verbalement qu’au moment du feed-back.
- La Gestalt de groupe propose une approche différente. Le groupe est regardé comme un organisme en perpétuelle évolution : il peut passer, par exemple, par des phases de fusion, d’agressivité, de recherche d’un leader, etc. C’est lla maturation du groupe qui apporte la croissance de chacun de ses membres. Le Gestalt-praticien, par ses interventions et ses feed-back, aide le groupe à évoluer, et ses membres à prendre conscience des étapes de la progression.

Les questions que pose la Gestalt-thérapie groupale sont nombreuses, par exemple :
- quels sont les outils, les concepts, les méthodes spécifiques à l’approche groupale ?
- comment se complètent (où se nuisent ?) les pratiques en individuel et en groupe pour une même personne ; pouvons-nous les conseiller simultanément ou l’une après l’autre ? avec le même thérapeute ou non ?
- les différentes pathologies peuvent-elles servir d’indicateur pour l’orientation ? par exemple, les troubles hystériques seront moins théâtralisés en individuel, ceux qui souffrent de troubles dépressifs retrouveront plus d’énergie et de chaleur dans un groupe.
- comment se négocie le transfert et le contre-transfert dans un groupe, avec, en particulier, l’émergence de transferts latéraux entre participants ?

Je souhaite, quant à moi, aborder quelques spécificités du travail en groupe.

1) Le groupe est une "machine à fabriquer de la triangulation ".

Nous savons tous l’importance psychique de la triangulation dans tout processus de croissance. C’est au moment de l’Oedipe que ce processus prend toute son importance mais nous le retrouvons tout au long de notre développement : renoncer à n’être que deux pour nous tourner vers les autres, vers l’extérieur, vers l’inconnu ; nous retrouvons cette nécessaire triangulation, dans la vie de couple pour éviter la confluence, dans la vie d’une équipe pour éviter de tourner en rond, etc. La présence du groupe en thérapie permet, sui generis, la mise au travail de cette triangulation et notre regard gestaltiste sur "l’ici et maintenant" prend toute sa valeur. Le tiers n’est plus une abstraction, un fantasme ; il est là, incarné par le groupe, et va, par exemple, réclamer sa place si le client monopolise trop longtemps l’attention du thérapeute. Et pour l’animateur, le groupe est un miroir qui va renvoyer, parfois violemment, les évitements, le contre-transfert, les zones d’ombre…

2) Le groupe permet au thérapeute d’éviter plus facilement l’écueil de l’acharnement thérapeutique. C’est en général avec l’expérience que nous comprenons que plus le thérapeute a le souci que son client évolue rapidement, plus celui-ci résiste.
En Gestalt, nous sommes particulièrement vulnérables à cette difficulté,
- puisque nous sommes dans un registre d’implication contrôlée,
- puisque nous travaillons sur le contact entre le client et nous-mêmes,
- puisque nous cherchons à augmenter son awareness.

Il est alors tentant d’en faire "un peu trop", de devenir nous-même l’acteur du changement chez le client. Que celui qui n’a jamais ressenti cet "effet Pygmalion", où mon regard donne vie et beauté à la statue que je sculpte, lève la main…

Or nous savons, et nous vérifions parfois, que si nous sommes toujours dans ce registre, le client va résister de plus en plus et ne pourra se remettre en mouvement que si nous lui redonnons la responsabilité de sa thérapie. La question à nous poser régulièrement est : "Qui travaille le plus dur dans la séance ? Qui est le plus acharné ? ". Je vois donc le groupe comme un régulateur, qui m’aide à ajuster mon degré d’implication personnelle.

3) En groupe, le thérapeute peut laisser vivre, et même amplifier, toutes ses propres polarités, qui seront naturellement équilibrées par le groupe. Ainsi,
- je peux être provocant, sachant que le groupe aura une fonction protectrice si nécessaire
- je peux être distant et laisser le client se débrouiller pour "rétablir le contact", sachant qu’il ira puiser chez les participants l’aide éventuellement nécessaire,
- je peux être démonstratif physiquement, car je sais que la présence du groupe évitera que mes gestes ne puissent sembler ambigus…

Un participant pourra aider le client à découvrir sa propre fluidité, à naviguer au sein de ses diverses polarités, à développer son ajustement créateur. Le groupe au complet se mettra au service d’une personne, inhibée dans la colère ou à la recherche de sa puissance.

4) Enfin, et ce sera mon dernier point, le groupe permet aux Gestaltistes d’explorer des champs nouveaux. Nous sortons là du cadre de la thérapie, mais, pour paraphraser Perls, la Gestalt est trop bonne pour n’être réservée qu’aux "thérapisants", n’est-ce pas ?…
Seule la formule groupale nous a permis d’utiliser les concepts gestaltistes dans des secteurs aussi divers que la formation, l’entreprise, les hôpitaux, l’entraînement sportif. Nous avons aujourd’hui des réponses de plus en plus affinées à la traditionnelle question : "Oui, mais est-ce encore de la Gestalt ?".
Nous pouvons distinguer les interventions centrées sur les individus de celles centrées sur le groupe (socio-Gestalt), en considérant l’entreprise ou l’équipe comme un organisme, avec sa frontière-contact, son awareness, ses pressions existentielles.

En conclusion, je voudrais souligner que le groupe n’est pas pour moi un simple décor ou même un contenant pour le travail de Gestalt. Il me semble être, en lui-même, un opérateur de changement, un partenaire avec qui, et sur qui, compter dans notre "stratégie thérapeutique". C’est un partenaire exigeant, qui nous est favorable ou hostile, qui nous aiguillonne ou nous inhibe. Le groupe me semble avoir une fonction de suprathérapeute, par analogie avec les supraconducteurs : certains matériaux, placés dans un environnement précis (température, etc.), voient leur résistance électrique diminuer fortement. En serait-il de même pour nos clients ? Serait-ce là, le rêve un peu osé de beaucoup de Gestaltistes ? Mais non, nous ne faisons pas d’acharnement thérapeutique, n’est-ce pas ?

Gonzague MASQUELIER

Publication proposée par : Masquelier Gonzague

Gonzague MASQUELIER est Psychologue et psychothérapeute. Ex-Directeur de l’Ecole Parisienne de Gestalt (EPG).

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