Réflexion sur « La violence à l’école ou école de la violence »
par Jacques Salomé
La relation « en-saignant », « en-saigné » a toujours été une relation douloureuse, et pour le saignant, et pour le saigné ! Postulat bien connu de tous ceux qui ont fréquenté l’école à un moment important de leur vie, parfois des deux côtés… du monde de l’enfance à celui des adultes. L’interrogation essentielle de ces dernières années n’est-elle pas : qui fait violence à qui ? Question à se poser, non pour accuser, ni pour justifier une telle réforme ou disqualifier telle mesure, mais pour se donner les moyens d’entendre, de comprendre, et à partir de là, prévoir des ajustements, apporter des éléments de réponse, pour permettre des évolutions possibles. Car en matière de relations humaines, rares sont les solutions immédiates. Le plus souvent, on ne peut guère compter que sur des prises de conscience et tabler sur des perspectives de changements et d’évolutions lentes, difficiles, contradictoires et maturantes.
Ce qui me frappe aujourd’hui, et je constate cela, non seulement aux abords des écoles, des collèges et des lycées, mais dans la vie des quartiers, des villages, dans le mode d’organisation de la famille actuelle, c’est l’extrême porosité des frontières qui délimitent le monde des enfants et celui des adultes. Autrefois, dans ma jeunesse, la famille, l’école, l’entourage servaient de filtres, d’écrans ou de passerelles entre le monde de l’enfance et celui des adultes.
Les adultes proches et moins proches, avaient le souci de préserver, de protéger et surtout de préparer le passage des jeunes vers leur vie d’adulte. Ils se sentaient une responsabilité morale implicite dans le devenir des enfants.
« Tous les adultes de mon quartier me connaissaient, ils avaient des mots, des regards qui m’accompagnaient, des pensées qui circulaient vers moi, des attentions. Au-delà de la Garonne, c’était la Ville, on disait d’ailleurs _aller en Ville_ mais sitôt passé le pont Saint-Michel ou le pont Neuf, en retrouvant les maisons basses de mon quartier Saint-Cyprien, je baignais dans un réseau de signes qui me reliaient à une foultitude d’êtres, me plongeaient dans une atmosphère le plus souvent bienveillante, quand bien même la voisine se chargeait de rapporter qu’elle m’avait vu _marchant près d’une fille qu’elle ne connaissait même pas !_.
A cette époque-là, les enfants étaient vécus à la fois comme la sève de la vie à venir, comme cette part d’éternité et ce terreau des générations futures. Ils étaient précieux. Ils avaient de la valeur. Une valeur jamais estimée à son juste prix au quotidien des jours, parfois révélée seulement les jours de départ, de pertes et de deuils. Aujourd’hui, semble-t-il, la valeur d’un enfant est devenue plus pesante, plus contraignante (et peut-être, est-ce plus gênant de le dire ?), plus coûteuse. Paradoxalement, la fluidité des sentiments a remplacé la fermeté des relations.
On bourre les enfants de sentiments divers, variés, comme on les gave de vitamines, de sels minéraux, d’activités multiples ou de classe vertes. On fait beaucoup pour eux, on donne dans la surenchère de l’avoir, on …est (du verbe être) peu présent face à eux. Le réseau relationnel, qui servait aussi de filet de protection, face aux péripéties de la vie, s’est beaucoup distendu. Il est réduit à la famille dite nucléaire ou monoparentale. Le tissu et l’imprégnation d’une communication de proximité, à partir de personnages significatifs, se sont beaucoup relâchés.
Oui, les adultes ne proposent plus ces filtres, ces écrans nécessaires, ces passerelles indispensables pour favoriser la rencontre et la confrontation d’un enfant avec un univers dont les valeurs, les rapports de force et les mécanismes sont si différents des siens. Aujourd’hui, ces fonctions élémentaires d’encadrement ou plus simplement d’accompagnement ne sont pas remplies, ni assumées.
Une adolescente de quinze ans, dans une petite ville de 12 000 habitants, en province (pas dans les banlieues décriées et rendues si menaçantes par les reportages ou les informations à la télé) connaît le prix au détail du cannabis et les divers rabais possibles sur le prix des drogues dites « dures ». Elle sait où se procurer des armes de poing telles que des révolvers ou des automatiques (car elle peut faire la différence entre un automatique et un révolver !). Elle sait le prix des autoradios volé, et même celui d’une _passe_, qu’une fille de sa classe demande pour payer sa dose quotidienne… Elle sait des détails ahurissants…que je suis loin de savoir. Mais il y a si longtemps que j’ai quitté l’école !
Cette trop grande porosité entre les zones les plus obscures, les plus ténébreuses du monde des adultes et la partie la plus lumineuse, virginale et naïve de l’enfance est inquiétante et dangereuse. C’est à mon avis une affection endémique, plus lancinante et plus grave que celle du sida ou du virus Ebola. Tout se passe comme si les adultes proches d’un enfant ne remplissaient plus ce rôle de protection, de filtrage, de témoin, de référence et de rappel de la loi. Je suis stupéfait et rempli d’angoisse, à mon tour, quand je vois des enseignants, des parents, des adultes qui ont peur… des enfants qu’ils côtoient. Je suis ahuri de voir à quel point parfois certains adultes, peuvent être démunis et dominés par des petits « bouts de choux » de trois, quatre ou cinq ans.
Tout se passe comme si les enfants et les jeunes en quête de limites, restaient livrés ainsi à leur illusion de la toute-puissance infantile et n’avaient plus, comme seuls recours, que la confrontation vertigineuse et cruelle avec des rapports de force liant la vie et la mort.
Les sociologues nous parlent, à juste titre, d’une crise de l’autorité dans la famille. L’autorité est certes une de ces fonctions essentielles dévolues au père ou à la mère. Elle répond à un besoin vital pour un enfant de se confronter à des limites, à des repères. « A défaut de père, disait ma grand-mère, il faut avoir des repères ». Mais au-delà de l’autorité, demeure la nécessité concrète, active et claire de se positionner, de témoigner, d’exister fermement, face à un enfant. Faut-il le rappeler, l’autorité c’est l’influence que je peux exercer sur autrui pour lui permettre d’être plus lui-même, et de devenir de plus en plus l’auteur de sa propre vie. L’autorité a été souvent confondue avec sa pathologie qui est l’autoritarisme ou ses déviances politiques qui sont l’autocratisme et, à l’extrême la dictature. Un ex-enfant de mes amis, me disait un peu ému : « Les enfants, de mon temps, disposaient de peu de temps à eux, car il leur fallait remplir des tâches diverses, aider les parents, participer à la vie familiale, mais ils jouissaient d’une liberté incroyable. J’ai été élevé dans un univers de liberté, qui cohabitait, sans se mélanger, avec celui de mes parents et des adultes qui m’entouraient. Aujourd’hui les enfants ont apparemment plus de temps, beaucoup de temps, mais tellement moins de liberté.
Ce temps qu’ils ont à disposition, tout se passe comme s’ils devaient le consommer et parfois, malheureusement, ils le tuent… ».
Au-delà des sentiments qui nous habitent, envers les enfants qui sont les nôtres ou que nous accompagnons, donnons leur de notre temps, de notre présence et de notre écoute, plus de notre temps, plus de notre présence. Bien au-delà d’une attention ponctuelle et même au-delà de l’amour, trop souvent inconditionnel, que nous leur offrons, apprenons à nous définir, à nous positionner, à nous situer devant eux. Pas de démission ni d’excusation, pas de justification ni d’accusation ou d’infantilisation, mais osons créer des situations de confrontation.
« Ma fille de dix-sept ans, après une soirée chez des amis, me racontait combien il lui avait fallut se défendre, s’affirmer et pour finir se fâcher, afin de refuser le joint qu’on lui proposait. J’avais l’air d’une demeurée, ils étaient ahuris, sincèrement surpris de mon attitude.
Les adultes qui étaient là, collaboraient par leur silence et leur sourire faussement compréhensif. J’avais envie de leur rentrer dans le lard ! ». Oui les enfants nous réclament plus de confirmation même pour s’opposer, pour nous conter et par là même pour se construire. Ils nous demandent de nous positionner, de savoir dire non, de témoigner d’une affirmation claire. Prenons le risque de déplaire, de bousculer et d’irriter, en témoignant de là où nous sommes ce que nous sommes. Oui, même quand ils ne le demandent pas expressément, les enfants nous sollicitent implicitement. Ils souhaitent des limites, justement au travers de comportements atypiques… Ils ont besoin de sentir notre consistance et notre fermeté même si dans un premier temps ils nous refusent, râlent et contestent nos interventions. Ils ont besoin d’adversité, de cohérence et de balises pour se construire et se structurer.
Etre adulte, n’est-ce pas être capable de s’affirmer sereinement sans dépendre de l’approbation ou la désapprobation de l’entourage proche !
Jacques Salomé
Atelier de travail avec des enseignants
par Martine Loix
« Mettre des mots à la place des coups » de Martine Loix
Quand la mise en mots n’est pas ou plus possible, arrive la mise en maux. Notre époque assiste impuissante à la recrudescence de la violence et particulièrement et étonnamment dans les écoles. La violence est le signe, la manifestation de la peur. Comme le dit Jacques Salomé, la relation « en-saignant, en-saigné » est souvent douloureuse. Tout se passe comme si les enfants et les jeunes en quête de limites restaient livrés à leur illusion de la toute-puissance infantile et n’avaient plus, comme seul recours, que la confrontation cruelle avec des rapports de force liant la vie et la mort. la formation permettra à chacun de s’affirmer sereinement, sans craindre le jugement, en s’aidant des outils très concrets et des règles d’hygiène relationnelle de la méthode E.S.P.E.R.E., de Jacques Salomé.
Dans la vie quotidienne, dans les réseaux multiples de la communication, il y a non seulement des malentendus, des souffrances, des blocages mais aussi une véritable déperdition d’énergie, une dévitalisation et une détresse profonde. La violence actuellement en est un des symptômes les plus criants. C’est par des relations exigeantes, par des positionnements clairs dans l’ordre des gratifications et des frustrations de la part des adultes, que se construisent chez les enfants les prémices de l’estime de soi.
L’atelier propose des outils simples et des règles d’hygiène relationnelle pour avoir des repères dans ses pratiques relationnelles.
Comment donner la vie
« Apprendre la communication relationnelle à l’école, comme une matière à part entière, au même titre que le calcul, le français, la géographie ou l’histoire me paraît le meilleur antidote à la souffrance engendrée par la violence et l’auto-violence qui fait aujourd’hui de nombreux ravages chez les adolescents et les enfants ».
Lors d’ateliers concrets et pratiques au sein des classes d’une part, dans les équipes pédagogiques d’autre part, nous proposons d’apprendre à sortir de l’in-communication, du silence et du conflit au sein de l’école.
Enfants, jeunes adultes, nous souffrons tous du manque de communication dans les écoles : comment se dire, comment entendre l’autre et respecter la vie en chacun de nous ? Dans la classe, reconnaître et accueillir les intérêts, les besoins, les états d’âme, les préoccupations de chacun, les « voir » afin qu’ils soient exprimés et ne prennent plus toute la place, qu’ils ne bloquent plus la porte d’entrée aux connaissances à acquérir, au savoir faire à exercer, au savoir être : lorsque les enfants et les jeunes ont la tête, le cœur « ailleurs », impossible d’être performant en classe… Que chacun sente qu’il a une place en classe, qu’il a des responsabilités, qu’il peut apporter des remarques et des suggestions, c’est alors qu’il acceptera de se remettre en question…
Comment donner « de la vie » aux jeunes saturés de jeux vidéo, d’univers virtuels, d’émissions télévisées, de « zapping » ? Les jeunes ont besoin de « défis » à relever, l’ennui les terrasse parce qu’ils reçoivent à longueur de journée des informations qu’ils prétendent déjà détenir et ils n’ont pas tort : ils ont une approche rapide et superficielle de plusieurs sujets d’études : la télévision et Internet leur « offrent » la moitié si ce n’est plus des connaissances « générales »…
Comment dire nos limites, nos zones d’intolérance et nos valeurs sans être dans une relation de pouvoir ?
Comment sortir du désert relationnel de nos écoles ?
Comment sortir du monde réactionnel de nos écoles ?
Comment « entendre »ce que dit le jeune couché sur son banc, parce qu’il a « mal à la tête » ?
Comment interpréter le coup de pied lancé au voisin ?
Que veut dire le collègue en dépression « lourde » ?
Notre perte d’énergie, elle tente de mettre au grand jour quel malaise, quelle difficulté ?
Nous proposons d’apprendre à mettre des mots à la place des coups, à la place des maux…
Nous venons à la demande dans les écoles, dans les classes, les journées pédagogiques, les conseils de classe. Nous rencontrons aussi les parents lors des réunions de parents et nous accompagnons les directions d’écoles.
Nous apportons des outils et des règles d’hygiène relationnelle travaillées et découvertes à partir de situations concrètes du quotidien.
Une place essentielle à la communication relationnelle primaire…
Communiquer relationnellement, c’est reconnaître en chacun de nous le système anti-relationnel dans lequel nous sommes baignés depuis notre enfance, système que nous utilisons avec grande sincérité et qui, pourtant, est à l’origine de maladresses, tensions, conflits, violences et souffrances.
Communiquer relationnellement, c’est redonner une place à la satisfaction de cinq grands besoins fondamentaux de tout être humain qui sont dans le besoin de se dire, d’être entendu, d’être reconnu, d’être valorisé, de pouvoir avoir une influence sur autrui et sur son environnement immédiat. Réhabiliter la prise en charge de ces besoins tant chez les parents, enseignants, enfants, est indispensable pour développer l’auto-responsabilisation, le respect de soi, la tolérance et l’ouverture à l’autre, différent.