La relation thérapeutique en Thérapie Systémique Brève

Par Yves Doutrelugne


La relation thérapeutique en Thérapie Systémique (...)

Comment la systémique voit elle la posture du thérapeute ?
En quelques mots pour aller à l’essentiel…

Les interactions sont circulaires  [1]

Les interactions, c’est ce qui intéresse le systémicien, dans un système où « Le tout est supérieur à la somme des parties », concept holistique [2]. « A » adresse des informations [3], qui arrivent à « B ». Lequel envoie lui aussi ses informations à « A ». Lequel en renvoie à « B », etc. Exemple : Patiente : mon mari me critique, je me justifie, il me critique, je me justifie. Soignant : Si je vous comprends bien, chaque fois que vous vous justifiez, il recommence à vous critiquer ?

Quand l’échange se crée, B reçoit « ce qui lui tombe dessus » (d’une personne, d’un groupe ou de la vie) qui, dans bien des cas, ne dépend pas directement de lui . Sa réponse à A, en revanche, lui appartient ET elle influence la suite, c’est-à-dire la réponse suivante de A vers B. C’est ce nous appelons le tennis relationnel. Cela à l’air banal … et pourtant…

COMMENT LE PATIENT SE VOIT IL ? VICTIME OU ACTEUR ?

Combien de patients se présentent en « victimes », passives, de « ce qui leur tombe dessus » plutôt qu’en acteurs de leurs réponses. Inhibition de l’action [4]. Impuissance apprise [5]. Etre victime ce peut être un choix de carrière [6]. Que de souffrances au long cours si rien ne change…
Notre travail sera de leur proposer de se poser ces deux questions :

o Qu’est-ce que JE fais qui permet à cette interaction de continuer (étant l’auteur d’une balle sur deux) ?
o Qu’est-ce que JE pourrais faire de différent qui y mettra fin ?

La première question le positionne en acteur, le sort de la passivité et de la victimisation. Il devient acteur de la solution dès la deuxième question.


-  Dans la relation thérapeutique, si le thérapeute est B, A (le patient) peut jouer tous les jeux possibles, le métier du soignant est de savoir comment lui répondre … Dans la clinique quotidienne, nombreux sont les soignants qui se plaignent des patients, leurs reproches étant multiples et variés. Le thérapeute/soignant se met linéairement en position de « victime de l’autre ». Vu du point de vue systémique, quand le soignant se plaint du patient, il y a une erreur quelque part et elle n’est pas du côté du patient… Exemple : Soignant : Ce patient a voulu me manipuler ! Superviseur : Que fais-tu quand ce patient veut te manipuler pour que cela s’arrête ?

COMMENT LE SOIGNANT SE VOIT IL ?

Neutre ou influent ?
Les trois axiomes de la communication de Palo Alto sont bien connus :

  1. On ne peut pas ne pas communiquer [7].
  2. Toute communication exerce une influence [8].
  3. Donc on ne peut pas ne pas influencer.

La question qui se pose alors n’est plus de savoir si l’on influence ou pas, mais porte sur le « comment influencer ? ». Question que l’on retrouve d’ailleurs dans toute communication.

Wittgenstein écrit : « Le fait que le psychiatre envisage la psychiatrie comme une science réflexive, c’est-à-dire qu’il accepte de s’inclure dans le processus thérapeutique, ou non, déterminera les aspects les plus profonds de l’éthique et de la pratique de son activité ».

Cette posture thérapeutique m’a amené à parler de moi en thérapie, ce qui est a priori contraire à une règle classique. Cela ne fait pas partie du modèle en lui-même. Cela ne s’impose à personne. Ce n’est pas non plus une constante et il y a de claires limites à cette façon d’agir. Mais un humain qui parle à un autre humain en souffrance de ses apprentissages passés d’homme, de ses limites et de ses forces [9], de la condition humaine finalement, c’est une posture qui me paraît juste. Chacun est évidemment libre de me suivre ou pas…

Quelle éthique pour cette influence ?

Quelle éthique pour cette relation thérapeutique « à influence réciproque » ? Nicholas Cummings [10] dit « En relation d’aide, ce que vous ne faites pas pour l’autre, ne le faites pas ». Encore une phrase qui peut paraître évidente. Qu’implique-t-elle ?

  • Que tout ce qui serait de l’ordre de la séduction ou du contre-transfert agressif serait contraire à la bienveillance. Et le patient ne s’y trompera pas… Dans les interventions dites « provocatrices », quand le thérapeute est dans cette totale bienveillance, le patient le ressent. Il sait, au fond de ses tripes, que ce qui est fait là, est pour lui, exclusivement et totalement pour lui. Et si ce n’était pas le cas (pas totalement pour lui), il le saurait tout aussi viscéralement…
    Ceci amène à des dialogues du genre :
    • Ce n’est pas gentil ce que vous dites là !
    • Je ne suis pas là pour être gentil mais pour que vous arriviez à votre objectif
    • Oui, je sais…

Ou des réflexions comme : « Je voudrais continuer encore l’une ou l’autre séance car j’ai besoin d’entendre des choses que je n’ai pas envie d’entendre… »

  • Cette éthique de l’influence implique donc que 100% de l’action du thérapeute soit axée sur l’objectif du patient et non sur celui du thérapeute. Cela va nous perturber sérieusement dans notre position de « savoir » …
  • Ceci sera la base de son éthique, la base de sa bienveillance, la base de leur Alliance. L’Alliance dont Olivier Cottencin [11] rappelle que « c’est un objectif partagé, et non une séduction réciproque ». Quand le problème et l’objectif appartiennent au patient et sont partagés par le thérapeute, le patient peut alors choisir de s’engager : le mandat circulaire [12] devient complet, l’Alliance scellée et la bienveillance totale. Ceci est le fondement de la relation thérapeutique. D’ailleurs, dans de nombreuses situations de supervisions qui posent problème au thérapeute, on constate très vite qu’au moins l’un des trois piliers du mandat circulaire thérapeutique manque. Et si la supervision est bien celle du thérapeute et non « d’un cas », elle interroge l’intime du thérapeute dans sa/cette relation thérapeutique difficile.
  • Dans les interventions paradoxales et plus encore dans celles que l’on qualifie volontiers de « provocatrices », quasi tout est possible quand cette bienveillance (être 100% orienté vers l’objectif du patient) est ressentie par le patient comme une évidence. J’ai dit « ressentie », pas comprise : ces deux choses « ne se passent pas au même étage » … Quand une personne se dévalorise à outrance (en se traitant de « conne » par exemple), elle voit bien que ses proches « sont gentils » en lui affirmant le contraire, mais ils ne la comprennent pas [13] . Le thérapeute n’est pas un ami et il doit accepter son point de vue avec d’infinies précautions évidemment [14]. En quoi est-ce provocateur ou paradoxal ? En réalité Il n’y a rien de plus logique qu’une intervention paradoxale, puisqu’elle corrige une erreur logique préalable. Et le/la patiente ne s’y trompera pas : c’est bien la première fois qu’elle se fait traiter de conne avec bienveillance. Et elle ajoutera, un jour sans doute, « Vous au moins vous m’aviez comprise » … Et oui, car le thérapeute parle le langage du patient.

Position : haute ou basse ?

Quand nous sortons de la Fac ou d’autre lieux d’enseignement de soins, que nous soyons médecins, infirmiers, kinés, ou autres soignants – nous avons acquis un « savoir », chacun dans notre métier. Heureusement d’ailleurs ! Nous avons réussi des examens de façon satisfaisante, voire plus, obtenu des diplômes, qui nous disent suffisamment compétents dans notre Art. Il faudra beaucoup, ultérieurement, pour nous le contester… Nous voilà fins prêts, « reconnus », légitimes, le monde nous attend… Or chacun de nous sait, surtout lorsqu’il a été au contact du malade au cours des stages inclus dans ses études, qu’il y eut « des moments de grande solitude » quand, face au lit du patient, un diagnostic est parfois fébrilement recherché, une décision n’est pas facile à prendre, etc. Il y a « la blouse blanche » d’un côté, l’homme et ses doutes de l’autre …

En pratiquant notre métier, (en principe) nous savons. C’est le sens du mot « docteur », venu du latin et signifiant celui qui sait, voire l’enseignant, le maître. Cette posture dans la relation est habituelle dans la relation thérapeutique.

Nous sommes donc bien rôdés à cette posture, laquelle est une position haute, position de savoir et de pouvoir. Elle est fonctionnelle et bien utile dans certaines circonstances.

Alors que dans d’autres situations, et la thérapie comme la maladie chronique en font partie, la position sera basse, position de non savoir et de non-pouvoir. Elle sera basse sur le contenu [15], tout en étant et restant ferme sur le cadre. Le cadre a ses règles et c’est nous qui les définissons et les faisons respecter. Le patient est libre de consulter dans un autre cadre qui lui conviendrait mieux … Il est l’expert de son vécu et garde (en dehors d’une altération de ses fonctions supérieures) son libre arbitre.

Le libre choix du patient comme éthique en psychothérapie [16].

Le thérapeute, laisse au patient SA vie, le laisse CHOISIR, est respectueux et efficient. Roustang écrit : « Le thérapeute doit (…) être indifférent au résultat et s’attendre tout aussi bien à un échec qu’à un succès de la cure. Sinon, il prendrait la place du patient et se livrerait à un forçage irrespectueux et inefficace. Le patient doit toujours pouvoir renoncer à guérir de son mal-être si cela lui chante. »
En systémique, en pensant les problèmes répétitifs en termes de paradoxes, nous dirons la même chose avec d’autres mots… tels que « Quand je le fais à sa place, je ne suis pas à la mienne, et je l’empêche de prendre la sienne ». Le soignant qui avait cette posture travaillait beaucoup et mal…En abandonnant cette posture, le thérapeute lâche du lest, laissant le patient œuvrer pour lui-même, « s’installer à son compte » disait Roustang.

Dans notre lieu de soin, le patient est libre de dire ce qui lui fait (ou pas) problème, sa souffrance. Cela lui appartient. Il a de bonnes raisons de continuer à agir ainsi, en même temps que cela le fait souffrir... Son objectif, c’est le sien.

Les trois choix de l’objectif

Est-ce de ne rien changer, auquel cas il n’a pas besoin de nous ? De ne rien changer mais d’être davantage plaint par nous, bonne raison de venir régulièrement pendant des années en s’interdisant tout changement ? Ou de changer, ici ou ailleurs ?

Nous envisagerons ensemble avantages et inconvénients de l’état actuel appelé « Problème » et de l’état supposé désiré appelé « Objectif », pour que le patient prenne une décision « éclairée ». Ces quatre questions réservent parfois bien des surprises… Quand il est libre de choisir, il est responsable. Le patient reprend les choix et les actions dans sa vie. Au-delà du soulagement de sa souffrance, le patient gagne ainsi en degré de liberté… L’estime de lui par lui y gagnera aussi…

Tout cet échange, en systémique, se basera sur du concret [17] et dans une perspective éminemment pragmatique.

Le Mandat circulaire

Problème et objectif étant définis, s’il a choisi de changer, il devient légitime de lui demander ce qu’IL compte faire pour passer de son problème à son objectif, son engagement. Ces trois mots sont les piliers du mandat circulaire : problème, objectif, engagement. C’est le mandat que donne le patient au thérapeute, qui l’accepte, de travailler tel problème, vers tel objectif avec son engagement à lui pour passer de SON problème à SA solution/ objectif/ état désiré. S’il ne l’accepte pas d’emblée, il le travaille. Et cela peut nécessiter du temps. Si l’un des trois piliers manque, surtout les deux derniers (objectif et engagement), sur quelles bases appuyer l’Alliance et la bienveillance ? Si finalement le thérapeute ne peut, après travail, quand même pas accepter de mandat, « Pas de mandat, pas de thérapie » ! C’est rare mais ça arrive.

Position de l’anthropologue et Utilisation : élégance, efficience et esthétique

La position de l’anthropologue, proposée par Bateson, consiste à dire à toute personne dont les dires ou les comportements nous paraissent étonnants voire incompréhensibles « qu’elle a sûrement de bonnes raisons de dire ou faire cela ». Deux présuppositions dans cette phrase : elle a des raisons et d’avance elles sont décrites comme bonnes… Bateson et Erickson diront que même le fou a sa logique, ce que le psychiatre ne démentira pas…
Face au patient en souffrance et qui persévère dans sa conduite, cette position de l’anthropologue nous dira son « pourquoi », l’un des deux pôles de son ambivalence [18]. Plutôt que le rejet « réflexe » de sa différence, la réponse du patient nous dira ses « moteurs », les valeurs qui le motivent malgré la souffrance. Valeurs motrices qu’Erickson nous apprendra non seulement à Reconnaitre et à Accepter mais aussi à Augmenter et UTILISER. . Cette acceptation des valeurs mobilisatrices de l’autre suivie de leur utilisation est pour moi l’un des plus beaux cadeaux reçus d’Erickson non seulement dans la relation thérapeutique mais aussi dans toute relation humaine. C’est un des « miracles » de la thérapie brève systémique que d’amener une personne à changer au nom des mêmes valeurs qui l’ont amenée à souffrir. Fluidité et efficience…

Un éventail de choix : l’écharpe à franges

La même liberté se retrouvera quand il s’agira de choisir parmi différentes solutions. Le jeu de l’écharpe à franges [19] nous amènera à co-créer avec le patient et à partir de ses idées, en brainstorming [20] un éventail de choix de solutions et de tâches. Chacune sera ultérieurement discutée et c’est le patient qui choisira dans quelle voie il souhaite s’engager. Même sentiment de liberté, même croissance de l’estime de lui par lui. S’il souhaite apprendre successivement différentes compétences, il augmentera d’autant sa boite à outils personnelle face aux événements de vie.

IN FINE…

Il y aurait tant d’autres choses à dire…
Cette posture dans la relation thérapeutique m’a apporté beaucoup à titre personnel. Cette approche de la thérapie systémique brève et d’autres modèles depuis lors (essentiellement Orientation Solution et Thérapie Narrative) sont devenus une façon de lire la réalité qui s’offre à moi, de vivre ma relation aux autres et aux événements de vie. Elle correspond à mes valeurs et me ramène à cette phrase de Wittgenstein « La Solution du problème que tu vois dans la vie, c’est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème.

Yves Doutrelugne est médecin et praticien en thérapies brèves et hypnose thérapeutique. Fondateur de l’Espace du Possible. Co-auteur, avec le Professeur O. Cottencin et le Docteur J. Betbèze de « Thérapies Brèves : Principes et outils pratiques » (3e édition 2013), « Thérapies brèves : situations cliniques » (2009) et « Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes » (2016) aux éditions Masson, collection Pratiques en Psychothérapie. Formateur.

[1Le plus souvent

[2Holisme : Néologisme forgé en 1926 par l’homme d’État sud-africain Jan Christiaan Smuts

[3De toutes natures

[4Henri Laborit

[5Martin Seligman

[6Yvonne Dolan

[7Dès que l’un de nos sens perçoit la présence de l’autre

[8Automatique, consciente ou pas, volontaire ou pas, à double courant

[9Taoïsme diront les uns. Inclusion dira O’Hanlon. Etc…

[10Nicholas Cummings (1924), Past-President de l’APA (American Psychological Association), Past Executive Director du M.R.I de Palo Alto, il a profondément modifié la place des thérapies brèves dans le système de soins américain.

[11Psychiatre, Professeur de Psychiatrie et d’Addictologie à la faculté de médecine de l’Université de Lille

[12Voir plus bas

[13En lui disant combien elle est chouette sur tous les tons, par exemple

[14Voir notre ouvrage « Thérapies brèves : Principes et outils pratiques ; Collection Pratiques en psychothérapies, Elsevier Masson

[15« J’ai quelques erreurs d’avance sur vous » ; « Je suis un mauvais thérapeute » ; « Si j’avais vécu tout cela, je serais plus mal que vous » ; etc…

[16Sous-titre du livre de Luc Isebaert et MC Cabié « Pour une thérapie brève », aux éditions Eres

[17Bateson obtint en 1952 un financement de la Fondation Rockefeller pour une étude du « paradoxe de l’abstraction dans la communication »

[18Souffrance d’un côté, persévérance de l’autre

[19Voir notre ouvrage « Thérapies brèves : Principes et outils pratiques ; Collection Pratiques en psychothérapies, Elsevier Masson

[20C’est-à-dire sans en faire la critique au départ, pour laisser fuser les idées

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