La Thérapie Cognitive vue par Spinoza (1ère partie)

Par Cécile Balligand


La Thérapie Cognitive vue par Spinoza (1ère partie)

Sur la base des 4 premiers principes (sur 14) fondamentaux de la thérapie cognitive tels qu’ils sont exposés par Louis Chaloult et Jean Goulet dans le livre « La thérapie cognitivo-comportementale – Théorie et Pratique » (Gaëtan Morin), nous tenterons une comparaison avec « l’Ethique » de Spinoza dont la philosophie conduit toute notre pratique philothérapeutique.

Voici ces principes :

  1. Les émotions des êtres humains sont surtout causées par leurs pensées ou leur perception plutôt que par les événements.
  2. Les événements, les pensées, les émotions, les comportements et les réactions physiologiques s’influencent mutuellement.
  3. Les émotions dysfonctionnelles sont habituellement causées par des pensées irréalistes. Pour diminuer ses émotions dysfonctionnelles, l’être humain a donc intérêt à prendre conscience de ses pensées irréalistes et à s’appliquer à les changer.
  4. Les êtres humains ont une tendance innée à perturber leur vie par des croyances irrationnelles et cette tendance est renforcée par l’environnement dans lequel ils évoluent.

Quelques définitions (pages 68 à 74)

Evénement : produit des différentes influences provenant de l’environnement perçu par nos sens. Agréable ou désagréable ou neutre (nous laisse indifférent)

Pensée : phénomène cognitif ou plus simplement façon dont l’individu se parle à lui-même. L’ensemble des pensées forme le discours intérieur en activité tant que la personne est en état d’éveil.
Ce discours exprime aussi bien une constatation, une réflexion, un projet ou autre chose.
NB : chez BECK : les pensées, ce sont les événements cognitifs c’est-à-dire les pensées sous forme verbale et les images mentales (visuel).

Emotion  : état affectif avec durée et intensité variables accompagné de réactions physiologiques
- émotions agréables (comme joie et amour)
- émotions désagréables fonctionnelles (elles restent justifiables et utiles)
- émotions désagréables dysfonctionnelles (trop fréquentes, trop intenses et inappropriées, elles nuisent au fonctionnement de l’individu et plus elles sont intenses et répétées, plus elles causent des formes de psychopathologie.

Que les pensées dysfonctionnelles soient irréalistes signifie qu’elles ne correspondent pas à une réalité communément admise (on peut dire qu’une pensée plus réaliste est une pensée plus rationnelle puisqu’elle est pour la plupart des gens plus évidente et qu’il est plus aisé d’en faire la démonstration. Qu’elles soient inadaptées signifie qu’elles ne servent pas les intérêts de la personne concernée. (page 180)

Premier principe

Le premier principe du cognitivisme (de même que le troisième en sa première partie) repose sur le principe stoïcien célèbre ainsi exprimé chez Epictète : « Ce ne sont pas les choses qui troublent les hommes, mais les jugements qu’ils portent sur elles. »

Cette conception selon laquelle la pensée génère le sentiment s’oppose à celle de Spinoza affirmant que c’est notre désir qui engendre nos jugements et détermine nos pensées :
« Nous ne désirons pas une chose parce que nous jugeons qu’elle est bonne ; au contraire, c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne. » (Ethique III, 9,sc.)

Renversement fondamental de perspective qui explique pourquoi l’homme pour se libérer de la servitude de ses passions (pâtir, subir, souffrir) devra remonter à la source, celle de son Désir authentique et originel.

Nous reviendrons sur ce point dans notre 2è partie.

Deuxième principe

Au deuxième principe s’oppose également la conception de l’affect chez Spinoza.

Un affect, c’est à la fois une affection corporelle (sensation, émotion) et l’idée de cette affection en notre esprit (sentiment).
Ici, les émotions d’ordre corporel (ou images des choses) ont leurs correspondants dans l’esprit sous forme d’idées ou sentiments.
« De ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance d’agir de notre corps, l’idée augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance de penser de notre esprit. » (Ethique II, 11)

S’il y a simultanéité absolue des événements physiques et des événements mentaux, il n’y a cependant aucune action du corps sur l’esprit et aucune action de l’esprit sur le corps : « Ni le corps ne peut déterminer l’esprit à penser, ni l’esprit ne peut déterminer le corps au mouvement ou au repos ou à quelque chose d’autre (s’il en est). » (Ethique III, 2)

Avec l’« Ethique », nous sortons de la conception dualiste cartésienne et nous envisageons une nouvelle méthodologie pour la psychologie : les idées (perceptions, conceptions, affects) doivent être expliquées par des idées et les corps (mouvements, réactions, sensations …) doivent être expliqués par des corps.

Quatrième principe

Reprenant à son compte le quatrième principe, Spinoza expliquerait qu’effectivement nous sommes le jouet de notre imagination et que nous confondons les images des choses avec leurs propriétés réelles.
Ces erreurs, inévitables pour nous êtres sensibles, quand elles sont malheureusement dogmatisées en vérités nous trompent sur nous-mêmes et le monde.
Au lieu de faire reposer notre vie sur notre nature personnelle et la nature telles qu’elles sont, car « la Raison ne demande rien contre la Nature » (Ethique IV, 18, scol.), nous nous laissons mener par des ‘croyances dysfonctionnelles ‘ (principe 4) ; nous adoptons des principes et nous suivons des modèles qui ne nous correspondent pas.

Nous sommes passifs et non actifs : « Je dis que nous sommes actifs, lorsque en nous ou hors de nous, il se produit quelque chose dont nous sommes la cause adéquate c’est-à-dire lorsque de notre nature, il suit en nous ou hors de nous quelque chose que l’on peut comprendre clairement et distinctement par elle seule. Mais je dis au contraire que nous sommes passifs lorsqu’il se produit en nous quelque chose dont nous ne sommes que la cause partielle. » (Ethique III, Déf. 2)

Oui, telle est notre condition : nous naissons, vivons et mourrons dans un univers de ‘ causes extérieures ‘ dans lequel « nous ne sommes pas un empire dans un empire » (Ethique III, Préface).
L’environnement (dont nous parle le quatrième principe cognitiviste) nous entraîne sur des routes où notre Désir se fourvoie…Nous voici écartelés entre des désirs conflictuels où nous nous perdons : « la force et l’accroissement d’une passion quelconque et sa persévérance à exister sont définis par la puissance d’une cause extérieure comparée à la nôtre et par conséquent, ils peuvent l’emporter sur la puissance de l’homme. » (Ethique IV, 6, Démo.)

Nous devenons la proie de nos illusions, de nos préjugés, des opinions, des principes et des valeurs des autres (famille, société, culture, religion) et nous nourrissons notre insatisfaction, nous faisons notre malheur : « L’impuissance de l’homme à gouverner et à contenir ses sentiments, je l’appelle Servitude. En effet, l’homme soumis aux sentiments ne dépend pas de lui-même mais de la fortune dont le pouvoir sur lui est tel qu’il est souvent contraint de faire le pire même s’il voit le meilleur. » (Ethique IV, Préface)

Quel destin funeste auquel nous pouvons heureusement échapper !

Troisième principe

Ainsi la deuxième partie du principe 3 : « Pour diminuer ses émotions dysfonctionnelles, l’être humain a donc intérêt à prendre conscience de ses pensées irréalistes et à s’appliquer à les changer. »

Pour comprendre le’ travail ‘ qui est à faire, nous partirons du cas présenté (page 70) dans le livre de Louis Chaloult sur la Thérapie cognitivo-comportementale que voici : « Monsieur Durand est déprimé parce qu’il a perdu son emploi. Quelle est la cause de sa dépression ? Un thérapeute cognitiviste dira que « c’est la perception qu’il a de la perte d’emploi ou son attitude à son égard qui le rend dépressif. La perte n’est que l’occasion de sa dépression.

Une autre personne par exemple pourrait se réjouir de cette perte d’un emploi qu’elle n’aime pas surtout si on lui en offre un meilleur. »
Donc le même événement « perte d’emploi » prend un sens et un poids différents selon l’état affectif et les idées de chacun.

Spinoza serait d’accord : « les idées que nous avons des corps extérieurs indiquent plutôt la constitution de notre propre corps que la nature des corps extérieurs. » ( Ethique II, 16, corol.)

Mais comment reprendre en mains les ‘ rênes de notre existence ‘… ?

Je vous invite à lire la suite dans la lettre du 24 juin…
- Cécile Balligand
Licenciée en Philosophie, Philothérapeute.

- Lire la deuxième partie de cet article

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