Qui n’a jamais rencontré d’échecs dans sa pratique professionnelle ?
Ne pas pouvoir aider un patient à gérer son stress, à vaincre son anxiété, à retrouver un sommeil réparateur ou encore à réduire ses compulsions est éminemment frustrant.
Ces échecs inévitables sont souvent assimilés à « pas de chance, j’ai pourtant fait tout ce que je pouvais pour aider mon patient » mais, dans certains cas, on peut constater qu’il y a un paramètre qui n’a pas été pris en considération. Il s’agit du rôle prépondérant de certains neuromédiateurs … et, par voie de conséquence, de l’alimentation !
Si notre comportement (et celui de nos patients) dépend de notre génétique, de notre vécu, de nos expériences et de beaucoup d’autres paramètres…. il dépend aussi de ces molécules qui sont produites physiologiquement au niveau cérébral et qui vont influencer nos réactions et notre adaptation aux sollicitations extérieures. En un mot, elles vont participer à notre équilibre psychique.
Les neuromédiateurs sont des substances produites au niveau cérébral qui vont induire un effet plus ou moins prolongé sur la zone ou les récepteurs concernés. A l’inverse des neurotransmetteurs (parfois les mêmes molécules) qui permettent la transmission de l’influx d’un neurone à un autre, ils vont agir en imposant un état psychique bien défini car ils sont émis non dans une fente synaptique mais à certains niveaux de l’environnement cérébral.
On compte de nombreux neuromédiateurs, parmi lesquels nous pouvons citer les neuropeptides (endorphines, enképhalines) qui permettent la modulation de la douleur, certaines hormones ou neuro-hormones tels que le cortisol ou la mélatonine, par exemple. Enfin il y a les monoamines particulièrement impliquées dans la psychopharmacologie : la noradrénaline, la dopamine, la sérotonine et l’acétylcholine.
Intéressons-nous spécifiquement à ceux qui vont intervenir sur notre état psychique :
LA DOPAMINE
Ses rôles sont multiples. Elle intervient sur la qualité du mouvement, la croissance des tissus, la sécrétion de l’hormone de croissance, par exemple. Mais elle va aussi être associée à la vigilance, à la recherche du plaisir et l’évitement actif de la punition. Une baisse de l’activité des neurones dopaminergiques (axe substance noire – striatum) entraînera une rigidité musculaire avec des tremblements jusqu’à provoquer la maladie de Parkinson. Une synthèse ou apport réduit de dopamine peut aussi entraîner un manque d’énergie, de volonté et d’initiative ainsi qu’une démotivation voire une dépression.
LA NORADRENALINE (norépinéphrine)
La noradrénaline que l’on pourrait considérer comme le neuromédiateur « social » participe à l’intégration de l’individu dans son environnement. Elle module les émotions, l’attention, l’apprentissage et elle facilite la réponse aux signaux de récompense. Elle crée un terrain favorable à l’apprentissage, à l’éveil, aux contacts sociaux mais la diminution de la noradrénaline affecte l’acquisition de connaissances et d’associations nouvelles.
En cas de synthèse ou de libération de noradrénaline perturbée, on constatera un repli sur soi, avec démotivation, baisse de la libido et éventuellement dépression.
L’ADRENALINE (épinéphrine)
Neuromédiateur du stress, il est considéré comme le « guerrier », puisqu’il enclenche les mécanismes permettant à l’organisme de réagir de manière adéquate et adaptée à tout stimulus extérieur reconnu, à tort ou à raison, comme « agent stresseur ». L’adrénaline agira sur le système nerveux sympathique et pourra accélérer le pouls, augmenter la pression sanguine, améliorer la mémoire, augmenter la force de contraction musculaire et la capacité respiratoire (par relâchement des muscles lisses) dès qu’il y aura nécessité. En d’autres termes, elle permet à l’organisme de réagir à un agent stresseur par un mécanisme de « fuite ou attaque » décrit pour la première fois par le chirurgien Henri Laborit.
LE GABA (acide gamma-aminobutirique)
Le GABA est le neuromédiateur le plus fréquent dans le cerveau. Il favorise le calme et la relaxation. Il régule le rythme cardiaque, il diminue la tonicité musculaire en réduisant les spasmes musculaires et même les convulsions de l’épilepsie. On sait qu’il joue un rôle important dans le contrôle de l’anxiété et d’ailleurs les benzodiazépines (tels que le Valium) sont des tranquillisants qui agissent sur les mêmes récepteurs que ceux qui réagissent au GABA.
Les niveaux bas de GABA entraînent des difficultés d’endormissement et de l’anxiété.
LA SEROTONINE
La sérotonine est un neuromédiateur de la « zen attitude ». Dans le striatum, les neurones sérotoninergiques inhibent les neurones dopaminergiques, ce qui entraîne une diminution du mouvement. Elle va favoriser la recherche de moments de détente, les comportements réfléchis et le sommeil. En excès, la sérotonine peut favoriser l’introversion, le repli sur soi.
À l’inverse, des taux de sérotonine bas sont associés à l’extraversion, l’impulsivité, l’irritabilité, l’agressivité, voire dans les cas extrêmes à une tendance suicidaire.
L’ACETYLCHOLINE
L’acétylcholine est essentiellement le neuromédiateur de la mémoire. Il permet de stocker l’information et de la retrouver au moment opportun. Les régions du cerveau qui utilisent le plus l’acétylcholine sont celles qui dégénèrent dans la maladie d’Alzheimer. Avec l’âge, même si l’on est en bonne santé, on constate progressivement de plus en plus de troubles de la mémoire car même chez la personne en bonne santé, on sait qu’avec l’âge, l’organisme fabrique moins d’acétylcholine. Cette situation est à l’origine de troubles de la mémoire, oublis, manque de concentration, ….
Comme on peut le constater, toutes ces molécules nous permettent donc de nous adapter à de nombreuses situations. Elles sont physiologiquement produites et utilisées en fonction des besoins et des nécessités mais aussi, pour certaines, selon un rythme prédéfini en relation notamment avec le cycle circadien. Dans ce dernier cas, nous pouvons citer les catécholamines (telles que la dopamine et la noradrénaline) et les endolamines (telles que la sérotonine et la mélatonine). Nous parlons alors de chronobiologie.
La conséquence directe de ce qui précède est que tout déséquilibre au niveau de ces neuromédiateurs pourra avoir des conséquences sur le comportement de l’être humain et entraînera certains comportements inadaptés ou même certains troubles et pathologies comme par exemple le stress pathologique ou l’anxiété que nous avons déjà évoqués et qui sont tellement fréquents en cette période de pandémie…
Il est, fort heureusement, possible d’intervenir sur la synthèse de ces neuromédiateurs et donc de réguler le fonctionnement cérébral. Le corps a besoin de certains précurseurs pour pouvoir fabriquer ces neuromédiateurs. Il s’agit toujours d’acides aminés à la seule exception de l’acétylcholine qui a besoin d’une vitamine du groupe B. Ces acides aminés, phénylalanine, tyrosine ou tryptophane, par exemple, nous sont exclusivement apportés par l’alimentation.
En d’autres termes, si nous ne consommons pas, ou pas suffisamment, les aliments qui les contiennent, nous n’aurons pas la « matière » permettant la synthèse du ou des neuromédiateurs concernés.
Prenons, à titre d’exemple, le cas de la sérotonine, le neuromédiateur de la « zen attitude ». Elle est produite essentiellement en fin de journée pour nous permettre d’accéder à cette étape où l’on lâche prise et où l’on réduit progressivement ses activités pour accéder, en fin de soirée, au sommeil.
Elle remplace progressivement les catécholamines (dopamine, noradrénaline) produites pendant la journée pour nous permettre d’être en phase avec notre environnement (activités, apprentissage, contacts sociaux, …). Elle a besoin pour être synthétisée d’un acide aminé, le ryptophane, que l’on trouve (trop) peu dans notre alimentation moderne. On le trouvera dans le cottage cheese, les noix de Pécan par exemple. Il faut aussi certains cofacteurs indispensables tels que certaines vitamines et minéraux et enfin il faut éviter une constipation chronique qui va séquestrer le tryptophane dans l’intestin l’empêchant ainsi de jouer son rôle de précurseur de la sérotonine. Les patients qui sont en manque de sérotonine présenteront un profil particulier.
Ils seront « déficients sérotoninergiques ». Ils se diront « du soir plutôt que du matin ». Très actifs le soir, ils seront très accessibles aux drogues et dépendances diverses. Ils auront difficile à se mettre au lit et trouveront difficilement le sommeil. Enfin une impatience et une agressivité seront très fréquentes chez ces personnes. Il ne s’agit pas d’une maladie mais d’un dysfonctionnement relativement fréquent : il serait estimé à, approximativement, 30 % de la population. Une correction alimentaire, voire une supplémentation, peut corriger cet déficit ou, en tous les cas, le minimiser et donc réduire les symptômes correspondants.
Ce type de mécanisme est comparable pour tous les neuromédiateurs avec des conséquences réelles et des modes d’intervention similaires. Il faut donc penser à l’alimentation dans le cadre d’un traitement. Il est important de préciser qu’au-delà des précurseurs, il y aussi, comme déjà expliqué, les cofacteurs indispensables à la synthèse des neuromédiateurs. Il s’agit prioritairement des vitamines du groupe B, de la vit C, du fer, du magnésium, du zinc et du cuivre.
L’alimentation doit aussi apporter des acides gras oméga3 d’un certain type pour optimiser la plasticité neuronale. Il a été montré qu’un régime déficient en AGPI n-3, entraine une modification délétère de la plasticité du réseau astrocytaire de l’horloge circadienne. (Ximenes et al. 2002).
Il faut également un apport adapté de glucose car il est le fuel privilégié du cerveau. Au-delà de son rôle de carburant ,il est aussi un puissant anxiolitique.
Enfin on peut aussi relever l’importance du magnésium qui, parmi de très nombreuses fonctions, agit positivement contre le stress.
Cette liste des (micro-) nutriments importants pour un équilibre psychique n’est pas complète mais démontre à suffisance que notre mode alimentaire va interférer de manière importante sur nos humeurs, comportements et éventuelles psychoses. Malheureusement, notre alimentation moderne entraîne de nombreuses et fréquentes carences.
Comme nous le confirme le tableau (ci-dessous) reprenant une partie des résultats des études du Val-de-Marne, de Bourgogne et de SUVIMAX.
Hommes (% n’ayant pas les apports suffisants) | Femmes (% n’ayant pas les apports suffisants) | |
Vitamine B6 | 16 à 50 | 25 à 50 |
Vitamine B9 | 25 à 50 | 25 à 90 |
Vitamine C | 20 à 30 | 20 à 30 |
Magnésium | 70 à 80 | 80 à 90 |
Zinc | 25 à 50 | 57 à 75 |
Fer | 25 à 50 | 20 à 55 |
A TITRE de CONCLUSION
De ce qui précède, on peut aisément déduire que l’apport nutritionnel est un des outils incontournables dans la prise en charge des patients souffrant de certains troubles psychologiques. Cette correction ou adaptation nutritionnelle, selon des protocoles précis, peut soutenir de manière non négligeable le travail psychologique en renforçant son efficacité. Cette combinaison semble d’autant plus nécessaire que l’alimentation habituelle de la population se détériore continuellement.
Willy VANDENSCHRICK
Nutrithérapeute certifié CERDEN
Master en Nutrition et Nutrithérapie (agréé FEDE)
DU Santé, diététique et physionutrition (Université de Grenoble)
Enseignant au CERDEN (Centre Européen pour la Recherche, le Développement et l’Enseignement de la Nutrition et de la Nutrithérapie)