Le Burn-Out est un processus pathologique provenant de l’utilisation répétée de mécanismes adaptatifs pour améliorer la résilience face au stress au travail. Trois symptômes cardinaux définissent l’état de Burn-Out : l’épuisement émotionnel, le cynisme et la perte d’ambition.
Les premières publications concernant le Burn-Out sont parues au milieu des années 70 dans le cadre de la désinstitutionalisation des soins aux USA (Freudenberger 1975, Maslach 1976). Freudenberger, dans son article princeps, constatait chez les professionnels de la santé communautaire, un usage chronique de substances diverses pour faire face aux conditions de travail émotionnellement plus impliquantes qu’en milieu hospitalier, ce qui en argot américain est dénommé Burn-Out. Le Harraps propose plusieurs acceptions du terme Burn-Out qui ne sont pas sans analogie avec l’observation clinique. Ce terme désigne tout autant une bougie qui s’est consumée, une lampe qui serait grillée ou plus métaphoriquement quelqu’un qui a éteint sa flamme ou s’est vidé de l’intérieur. Bref une personne ou un objet qui aurait épuisé toutes ses ressources intérieures tout en pouvant parfois donner une apparence de normalité. Il n’existe pas de traduction française totalement satisfaisante pour désigner le mot Burn-Out.
On trouve souvent le terme « épuisement professionnel », mais cette appellation a tendance à mettre en exergue la dimension fatigue, qui si elle est souvent présente, n’est pas caractéristique du Burn-Out. La littérature francophone mentionne parfois le terme « brûlure interne », qui se rapproche littéralement du mot anglais, mais qui évoque plutôt un phénomène douloureux, alors que justement ces patients souffrent d’une sorte d’anesthésie émotionnelle. Enfin, on trouve également le mot « épuisement émotionnel », mais ce symptôme n’est que l’un des signes du Burn-Out et égare le professionnel du côté de la psychose.
Le syndrome de Burn-Out serait un processus progressif et lent, provenant de l’utilisation répétée de mécanismes adaptatifs (voire hyper adaptatifs) par le travailleur pour améliorer sa résilience face au stress au travail. Les mécanismes adaptatifs seraient tant cognitifs qu’émotionnels. Afin d’amortir la souffrance au travail, celui-ci diminuerait son implication émotionnelle, utiliserait davantage de mécanismes de rationalisation et adapterait ses ambitions à la réalité. Ces mécanismes adaptatifs, à la base sains, adéquats et efficaces, s’ils sont répétés en permanence, aboutiraient à un épuisement progressif des émotions, au cynisme et la perte d’ambition qui sont les trois symptômes indispensables pour parler de Burn-Out.
A l’inverse, la non utilisation de ces mécanismes d’ajustement peut entraîner un stress important dû à un excès des réactions émotionnelles et un manque de rationalisation de la situation. Par ailleurs, ces mécanismes utilisés au départ dans la sphère professionnelle auraient tendance à envahir tous les domaines de la vie (famille, amis, loisirs…). A l’heure actuelle seul le « Maslach Burn-Out Inventory » - MBI, mesurerait ces trois dimensions.
L’ensemble de la littérature considère ce syndrome comme spécifiquement lié au travail mais l’instrument le plus utilisé (MBI) n’est applicable qu’à des personnes au travail. Notre impression est que cette affirmation est une tautologie due à l’instrument. Ne serait-il pas imaginable d’avoir des pensionnés ou des chômeurs en Burn-Out, voire même d’imaginer un Burn-Out de couple ?
De même, la littérature met à l’avant plan que les métiers les plus visés seraient les soignants, les enseignants et les travailleurs sociaux, bref tous les métiers où la composante aide et contact avec le public est importante. Pour étayer leurs allégations, ils se réfèrent au nombre de publications internationales consacrées à ces professions. Or historiquement pendant longtemps les chercheurs ne se sont intéressés qu’à ces professions. De plus, aucune des versions du MBI n’est applicable sur des travailleurs ayant très peu ou pas de contacts avec le public, ni sur des personnes hors travail. Les études plus récentes s’attachent davantage à analyser le lien entre le Burn-Out et la satisfaction au travail ou les conditions de travail. Maslach et Leiter (1997) ont développé un modèle compréhensif du Burn-Out qui met l’accent sur le décalage entre la personne et 6 dimensions de l’environnement de travail : la charge de travail, le contrôle de la tâche et les conflits de rôles, la reconnaissance matérielle et morale, l’entourage humain tant hiérarchique que collégial, l’équité et l’éthique.
Une étude récente réalisée à la Clinique du Stress (CHU-Brugmann, Bruxelles, 2006) sur une cohorte de 480 patients ambulatoires présentant un stress pathologique dont 67 était en Burn-Out extrême suivant les critères de Maslach (stade 8 sur 8) et 70 sans processus de Burn-out du tout (stade 0 sur 8) va dans ce sens. Cette étude n’a trouvé aucune différence statistiquement significative en termes de caractéristiques de profession telles que contacts avec du public, travail en équipe, responsabilité d’équipes, travail nécessitant une vocation, réussite du travail dépendant de capacités relationnelles. De même si les professions sont regroupées par nature d’activité (administratif, commercial, technique, soignant, enseignant, sécuritaire, autre) : aucune différence significative n’est observée. Par contre les patients en Burn-Out sont plus affectés par les dimensions concernant les conditions stressantes de travail. Il serait intéressant d’étudier plus avant le lien entre le Burn-Out et l’organisation de travail.
Cette découverte va dans le sens des récentes publications de Maslach, où l’auteur s’appuie sur les concepts de contrats psychologiques dans les organisations. « La violation du contrat psychologique (mettant en balance les efforts du travailleur et les demandes de l’employeur) produirait le Burn-Out parce qu’elle éroderait la notion de réciprocité qui est cruciale dans le maintien du bien-être. » Ce point de vue va dans le sens du modèle effort-récompense de Siegrist concernant le stress. Cet équilibre entre l’investissement et le reçu en retour, n’est d’ailleurs pas spécifique au travail et concerne toutes les relations humaines, il est par ailleurs la stratégie la plus utilisée pour jouir d’une bonne qualité de vie subjective. Par ailleurs le modèle développé précédemment par Maslach et Leiter (1997) autour de 6 dimensions de l’environnement de travail s’apparente en partie avec le modèle demande-contrôle-support de Karasek concernant le stress au travail. Le lien entre ce dernier modèle et le Burn-Out a par ailleurs été récemment démontré sur du personnel de prison.
Mais ni le modèle de Siegrist, ni le modèle de Karasek ne sont des modèles spécifiques au Burn-Out, ils s’appliquent à toutes situations pouvant provoquer un stress. Sans doute trouvons-nous chez Christophe Dejours des considérations plus proches du concept à travers son livre « Travail, usure mentale ». Pour cet auteur les conditions de travail (contraintes) prendraient essentiellement le corps pour cible, alors que l’organisation du travail (astreintes) prendrait le psychisme pour cible. En effet, qu’on le veuille ou non, l’organisation du travail est toujours l’intrusion de la volonté d’un autre dans notre appareil psychique. Pour faire face à cette souffrance, les travailleurs développeraient d’une part collectivement des « idéologies défensives de métier » (comportements insolites, impliquant la collectivité des travailleurs, qui passent pour anecdotiques alors qu’ils apparaissent avec une remarquable constance dans une profession donnée et pas ailleurs) et d’autre part individuellement par des stratégies d’ajustement.
Ces ajustements impliquent un compromis entre la « contribution » du travailleur et la « rétribution » de l’employeur et/ou de la société. Et il apparaît que la rétribution attendue par le travailleur soit essentiellement symbolique. Cette rétribution symbolique consiste en la reconnaissance. Reconnaissance au sens de constat et au sens de gratitude. Ainsi d’une part les actions qui se soldent par des échecs répétés, ne permettent pas au travailleur de constater son efficience et d’être reconnu pour sa compétence, d’autre part l’absence de gratitude face à leur contribution personnelle, éroderaient peu à peu leur résilience, les amenant progressivement en état de Burn-Out. Cette analyse n’est pas loin des dernières hypothèses de Maslach, tout en cernant plus précisément où se trouve la violation du contrat moral.
De toutes les variables socio-démographiques qui ont été étudiées dans la littérature internationale, l’âge est celle qui est la plus reliée au Burn-Out. Assez paradoxalement à première vue, les jeunes en dessous de 30 ans ont un niveau de Burn-Out plus élevé que leurs aînés. Mais comme le fait remarquer Maslach (2001), plus on vieillit plus les mécanismes adaptatifs face au stress sont efficaces et d’autre part cette constatation doit être prise avec prudence car elle pourrait être en relation avec un biais de cohorte. En effet, les jeunes qui ont un Burn-Out en début de carrière quittent davantage leur emploi tôt et ne laissent dans la file active que ceux qui ont un degré de résilience plus important. Par ailleurs, il n’y aurait pas ou peu de différences suivant le genre. Par contre, les hommes célibataires sont plus vulnérables, de même que les universitaires.
L’étude Bruxelloise ne peut confirmer ces affirmations mais elle comportait trop peu d’individus de moins de trente ans, quasi tous étaient mariés ou en couple et les universitaires y étaient surreprésentés.
Sur le plan de la personnalité, le Burn-Out serait plus élevé chez ceux qui ont un locus de contrôle externe (styles d’attribution), qui ont tendance à avoir une attitude passive avec une basse estime de soi.
La recherche menée à la Clinique du Stress confirme ces affirmations. De plus, le TAS-20, mesurant l’alexithymie, met en évidence que les patients en Burn-Out éprouvent plus de difficultés dans la gestion de leurs émotions que ce soit pour l’identification de celles-ci, pour l’expression verbale de celles-ci, ou par des comportements d’évitement des émotions.
Enfin, il existe très peu d’études psychopathologiques sur le Burn-Out, essentiellement parce que ce syndrome n’est pas repris dans les classifications internationales et le manque de consensus sur une définition claire de ce syndrome (critères d’inclusion et d’exclusion). On sait cependant qu’il y a une corrélation entre l’humeur (dépressive) et le Burn-Out, essentiellement en lien avec la dimension épuisement émotionnel, mais on ignore par exemple la prévalence de la dépression majeure parmi ces personnes. Par ailleurs, le syndrome de Burn-Out a la réputation d’entraîner un absentéisme important et de longue durée et d’avoir un très mauvais pronostic en terme de réadaptation fonctionnelle, au point que d’aucuns ont suggéré de le surnommer syndrome de la mérule émotionnelle.
L’étude bruxelloise est l’une des premières à s’attacher à ces questions et met en évidence que :
Les patients en Burn-Out extrême perçoivent leur stress comme très intense.
La souffrance mentale des patients en Burn-Out est également très sévère.
Outre les éléments récoltés par les échelles, l’anamnèse systématisée révèle que 70.8% des patients en Burn-Out se plaignent de troubles de la concentration, 41.5% se plaignent de troubles de la mémoire immédiate et 63.6% se disent irritables.
Sur le plan des plaintes somatiques, la fatigue est la plainte la plus importante. Liés à la fatigue, on constate des réveils matinaux précoces, des troubles de l’endormissement. On pointera également comme signes fréquents les douleurs de nuque, la baisse de la libido, les coups de pompe diurnes, les céphalées de tension, les dorsalgies, les crampes abdominales et les crampes nocturnes.
En ce qui concerne les traitements, les patients en Burn-Out se verront prescrire nettement plus souvent des antidépresseurs. Quant aux psychothérapies, les patients en Burn-Out sont manifestement plus orientés vers des thérapies émotionnelles, des thérapies cognitivo comportementales et des traitements intensifs à multiples approches. Enfin, les techniques de relaxation sont largement utilisées tant pour les patients en Burn-Out que pour les stressés sans Burn-Out.
Les patients en Burn-out sont plus fréquemment mis en incapacité de travail (76.4%) et pour de longues durées (m= 10.34 mois). Pour autant que leur traitement soit terminé à la clinique du stress, 25% des patients en Burn-Out resteront en invalidité. Pour ceux qui retournent sur le marché de l’emploi seule la moitié d’entre eux retrouveront leur travail initial, 16.% seront mutés, 20% recevront leur préavis, 7.4% donneront leur démission, 1.5% seront renvoyés pour fautes graves et 9.3% opteront pour la pension ou la prépension.
Des questions restent partiellement non élucidées : faut-il considérer le Burn-Out comme un syndrome spécifique ou comme une forme préclinique de la dépression ? Ou bien faut-il considérer le Burn-Out comme ce que l’on appelait anciennement la dépression masquée ? En effet cliniquement on observe avec une remarquable constance chez ces patients, l’absence de tristesse et d’idéations suicidaires, une diminution du plaisir dans les activités hédonistes mais avec un maintien de l’intérêt pour ces activités, de même qu’un faciès souriant et sthénique. Par ailleurs ils se plaignent d’une plus grande irritabilité et d’une fatigabilité plus rapide. Ce profil ne correspondrait-il pas au profil dépressif non mélancolique chez des personnalités à locus de contrôle externe tel que décrit par Gordon Parker ?
De fait, en ce qui concerne plus spécifiquement la dépression, l’étude bruxelloise observe, comme dans la littérature internationale, des corrélations significatives entre les échelles de Burn-Out et celles de dépression, mais on peut pointer qu’il n’y aucune corrélation significative avec la tristesse et l’idéation suicidaire. De plus, il faut noter que 67.3% des patients en Burn-Out, n’atteignent pas les cotes critiques pour la dépression majeure. Considérer le Burn-Out comme une phase prodromique de la dépression ne semble pas une hypothèse à retenir vu l’intensité de la souffrance mentale. Incontestablement, ces patients répondent aux critères d’état pathologique, à savoir : une souffrance significative, perdurant exagérément et ayant un impact fonctionnel significatif. Avec les échelles utilisées, l’étude ne peut exclure qu’il s’agisse d’une forme particulière de dépression. En effet ces échelles accordent beaucoup d’importance à l’idéation suicidaire ou à la tristesse, dimensions qui ne sont pas corrélées au Burn-Out.
Il serait, dès lors, opportun d’explorer cette question en utilisant d’autres échelles qui accorderaient plus d’importance à l’irritabilité et à l’anhédonie. En effet, la symptomatologie observée ainsi que le lieu d’attribution externe plaident pour explorer davantage du côté de la dépression irritable telle que décrite chez Gordon Parker du Black Dog Institute.
CONCLUSIONS
Indubitablement un état de Burn-Out avancé s’accompagne d’une souffrance mentale sévère et d’un stress perçu très important. Cette souffrance est liée à des perturbations de l’humeur, à une anxiété plus importante mais surtout à un impact fonctionnel important. Avec les échelles utilisées dans cette étude nous n’avons pas pu confirmer qu’il s’agit d’une forme particulière de dépression. En tout cas le Burn-Out ne s’accompagne ni d’idéation suicidaire ni d’une tristesse plus prononcée. Il serait, dès lors, opportun d’explorer du côté de la dépression irritable.
Somatiquement, le Burn-Out s’accompagne très généralement de fatigue, de troubles du sommeil et de signes de tensions musculaires comme dans tout état de stress pathologique.
La prise en charge du Burn-out est également plus lourde qu’un stress pathologique tant par la durée de la prise en charge, par la fréquence des écartements du travail que par les traitements tant pharmacologiques (antidépresseurs) que psychothérapeutiques. _ d’entre eux resteront en invalidité au terme du traitement de stress et pour ceux qui retournent sur le marché du travail seule la moitié d’entre eux retrouveront leur travail de départ.
Les diverses stratégies d’ajustement au stress (copings) sont moins bonnes chez les patients en Burn-Out, ils sont par ailleurs plus externalistes, moins assertifs, plus passifs et ont des difficultés manifestes dans la gestion de leurs émotions.
Par contre, dans cette étude nous n’avons trouvé aucune différence dans le profil socio-démographique ni dans le type ou les caractéristiques de professions, tels que soignants, enseignants etc... Ce sont l’organisation et les mauvaises conditions de travail qui apparaissent comme les plus liées au Burn-Out.
Professeur Philippe Corten
Professeur à l’Ecole de Santé Publique et à l’Institut du Travail de L’Université Libre de Bruxelles
Chercheur au Laboratoire de Psychologie Médicale, d’Alcoologie et de Toxicomanies de l’Université Libre de Bruxelles
Chef de Clinique Adjoint au Centre Hospitalier Brugmann à Bruxelles
Directeur de la Clinique du Stress
Neuropsychiatre, spécialiste en réadaptation
Pour plus d’informations : http://homepages.ulb.ac.be/ phcorten