Ne sont-ils pas nombreux les gens à venir en consultation en nous disant que rien ne va plus, qu’ils ne sont pas heureux ?
Cela se traduit pour ainsi dire tout le temps au travers de leurs symptômes, de leurs plaintes et bien sûr de leurs attentes.
Comme on le sait, leurs symptômes leur permettent très souvent d’arriver en consultation. Etre heureux signifie parfois pour eux de ne plus avoir ces symptômes, et bien sûr ce n’est jamais suffisant… Leur corps ne fait qu’exprimer leurs souffrances, leur absence de bonheur.
Qu’ils arrivent seuls, en couple, ou en famille, ils ne sont pas satisfaits de leur vie. Leur quotidien les insupporte, il y a « quelque chose » qu’il faut absolument modifier ou changer. Il leur faut vivre autrement à la maison, au travail,…
Bien souvent, il leur faut quelque chose en plus. Et s’ils ne veulent pas trop changer eux-mêmes, ce plus, c’est bien souvent l’autre qui doit l’apporter : c’est à l’autre de changer, pas à moi ! Et si j’ai des changements à apporter dans ma famille, j’attendrai qu’il fasse ce que je lui demande depuis très longtemps avant de me changer moi-même, c’est bien normal après tout ! Pourquoi est-ce à moi de changer ?
Et ce ne sont là que quelques-uns des travers de la vie relationnelle…
Tous témoignent qu’ils ne sont pas ou plus heureux, qu’ils aspirent à retrouver ce bonheur qu’ils avaient auparavant. Qu’ils avaient peut-être auparavant en fait…
Ces patients sont donc à la recherche de ce fameux bonheur, ce bonheur qui pourrait tout changer dans leur vie. Ils attendent que la thérapie, grâce à leur psychothérapeute, leur apporte ce bonheur avec un grand « B ».
Mais peut-être qu’avant de se poser la question de savoir si une psychothérapie est en mesure de leur apporter ce bonheur, il s’agit de s’entendre sur une définition du bonheur…
Au vu de la définition que l’on retrouve dans le Robert, le bonheur serait un « état de la conscience pleinement satisfaite ». Il y est question de béatitude, bien-être, félicité, plaisir, contentement, enchantement, euphorie, extase, joie, ravissement et satisfaction…
Tout un programme pour les thérapeutes que nous sommes… Et quel défi pour toutes ces familles que nous rencontrons !
Pour Albert Jacquard, le bonheur est une harmonie de toute notre personne, et les plaisirs que l’on peut rencontrer ne font que contribuer à notre bonheur. Les plaisirs, s’ils augmentent cette harmonie, peuvent aussi la détruire. Quant à l’absence du plaisir désiré, elle peut apporter une sérénité qui est une forme de bonheur…
Toujours pour Albert Jacquard, « le bonheur, c’est de se sentir beau dans le regard des autres » ! Cela implique un devoir moral de regarder les autres en sachant les trouver beaux. Cela implique aussi une capacité à discerner en eux une personne semblable à nous-mêmes…
Il y aurait donc dans cet état de bien-être quelque chose qui touche à la personne et à la personne en relation avec autrui.
Pour beaucoup, vivre n’est pas quelque chose de suffisant. Il faut vivre en étant heureux. Pour certaines personnes, l’existence n’a de sens que si elle devient elle-même « bonheur ».
Nombreux sont donc les individus qui attendent de la vie le bonheur, et ils passent leur temps à attendre le bonheur…
Mais encore faut-il savoir de quoi il est fait ce bonheur. Qu’est-ce qui le crée ? Est-ce l’argent, puisqu’il paraît qu’il fait le bonheur ? Est-ce que ce sont les biens matériels que l’on peut posséder ?
Est-ce la santé, être bien dans son corps, qui crée le bonheur ? Peut-être aussi que ce bonheur ne peut se trouver que dans un temps futur ? Il ne semble pas évident, en effet, de pouvoir se satisfaire de ce que l’on peut vivre maintenant, dans le moment présent… Après tout, réussir, trouver l’amour, c’est toujours pour demain et jamais pour aujourd’hui… « Cela ira mieux demain ! »
Peut-être aussi que ce bonheur dépend d’une personne ? N’est-ce pas l’autre qui est censé nous rendre heureux ?
Intéressons-nous historiquement à ce qui rend l’homme heureux…
Les premiers philosophes grecs n’étaient pas des philosophes du bonheur, mais des philosophes de la nature ou de l’être.
Avec Socrate, la philosophie se recentre sur la question de savoir qu’est- ce que l’homme. C’est le fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate. Il s’agit ici de chercher ce qu’on est, et ce qu’on doit être. C’est aussi se demander comment penser, comment vivre, et comment être heureux. La philosophie devient donc une philosophie du bonheur, où celui-ci devient souverain.
Le but principal est donc de déterminer ce qu’est la « vie bonne ». Est-ce la vie qui comporterait le plus grand nombre de plaisirs, de joies, de satisfactions ? Ou est-ce la vie qui est la plus estimable moralement, celle de l’homme le plus juste, le plus sage, le plus vertueux ?
Pour Aristote, tout être tend vers son bien, et le bonheur est le bien de l’homme. Quoi qu’on fasse, on le fait pour être heureux, ou pour s’approcher du bonheur. Le bonheur est le but de l’homme, et tous les autres buts (argent, pouvoir, etc) ne sont que des moyens pour s’en approcher. Le bonheur, lui, n’est le moyen d’aucune fin.
Le contenu du bonheur peut être défini par une vie conforme à la vertu, ou par la contemplation. La vie conforme à la vertu concerne le bonheur ordinaire des braves gens, la contemplation quant à elle fait référence au bonheur des sages ou des mystiques.
Pour Epicure, le bonheur est à la fois un hédonisme (plaisir) et un ascétisme. Il s’agit de jouir le plus possible, de souffrir le moins possible, en apprenant à limiter ses désirs. Il importe donc d’augmenter le plaisir, mais par la réduction de ses objets. Cela revient donc à jouir le plus possible, en désirant le moins possible ! C’est bien le plaisir qui compte, et non sa limitation…
Pour les épicuriens, il faut donc travailler sur les désirs. Sélectionner ceux qui peuvent aboutir au bonheur, et rejeter ceux qui nous vouent, au contraire, à une quête indéfinie, donc à l’insatisfaction, à la souffrance et au malheur.
Différents types de désirs existent donc.
Il y a ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires, comme par exemple les désirs de gloire, de richesse, et de pouvoir. Ils sont limités et vains car ils nous vouent irrémédiablement à l’insatisfaction. Nous n’aurons jamais assez d’argent, de gloire ou de pouvoir…
Il y a les désirs qui sont naturels sans être nécessaires, comme par exemple le désir sexuel, les désirs esthétiques ou gastronomiques. Il n’est pas nécessaire d’y renoncer totalement, mais il fait veiller à ne pas en être esclave. Il faut jouir de leurs objets quand ils sont là, sans en avoir besoin pour être heureux…
Les seuls désirs absolument bons sont les désirs naturels et nécessaires, qu’ils soient nécessaires à la vie elle-même (manger, boire), au bien-être du corps (avoir des vêtements), ou au bien-être de l’âme, c’est-à-dire au bonheur. En se contentant de ces seuls désirs, dans une société équilibrée, ils seront presque toujours facilement satisfaits.
Dans les pays riches d’aujourd’hui, dirait Epicure, les gens ne meurent pas de faim. Ils sont pourtant nombreux ceux qui ne se disent pas heureux, parce qu’ils passent leur temps à désirer ce qui est non naturel et non nécessaire…
Pour les stoïciens, le bonheur passe aussi par une forme d’ascétisme, mais pas n’importe lequel… Il s’agit d’un ascétisme moraliste et volontariste. Le bonheur se définit par la vertu et non plus par la jouissance. Si pour les épicuriens c’est le bonheur qui fait la vertu, pour les stoïciens, c’est la vertu qui fait le bonheur.
Pour Epictète, la classification des désirs est un peu différente que pour Epicure : on peut désirer des choses qui dépendent de nous, ou non.
Si nous désirons des choses qui ne dépendent pas de nous, comme être en bonne santé, beau ou riche, on soumet notre bonheur au hasard. On devient esclave de ce qui ne dépend pas de nous, d’un virus, d’une crise économique, d’un accident,…
Si, au contraire, nous ne désirons que ce qui dépend de nous, notre désir ne peut qu’être toujours satisfait ! Il y a en effet une différence entre désirer être en bonne santé et désirer faire le nécessaire pour se soigner…
Nous faisons ce que nous désirons ! Et si le traitement ne réussit pas et que l’on va mourir, là aussi ça ne dépend pas de nous ; il nous reste à l’accepter et à mourir sereinement…
En fait, l’espérance est un désir dont la satisfaction ne dépend pas de nous. Accepter ce qui ne dépend pas de nous, cela dépend de nous ! La sagesse stoïcienne est donc une sagesse de l’acceptation de ce qui ne dépend pas de nous : elle est aussi une sagesse de l’action ou du vouloir, dans cette acceptation. Le sage ne s’abstient que de ce qui est mal, de ce qui est indigne de lui, de non vertueux. Pour le reste, il fait pleinement ce qui dépend de lui. Il ne désire que ce qu’il est en état de vouloir. Comme il n’a pas d’espérance, il n’a pas de crainte non plus. Il est donc parfaitement serein, parfaitement heureux !
Pour reprendre Aristote, la sagesse est aussi un art de vivre heureux. Ce dernier constate aussi qu’il y a dans notre bonheur des éléments qui ne dépendent pas de nous, et que pour être heureux, il faut être vertueux, prendre sa vie en main. Il sait aussi combien il est important de ne pas vivre dans la misère ou dans le déshonneur, d’avoir des amis, d’être en bonne santé, de ne pas vivre dans un pays en guerre… toutes choses qui ne dépendent pas de nous ou que très partiellement.
Cette sagesse d’Aristote est donc un juste milieu entre les épicuriens et les stoïciens ; elle semble mieux correspondre à la nature humaine.
Pour les Modernes, par exemple Spinoza, la vertu a elle aussi toute son importance. Elle est cependant différente en ce sens qu’elle donne davantage d’importance à la place que l’on accorde à l’autre. Un individu moral pour les Modernes est un individu qui n’est pas égoïste, ou qui l’est moins que l’autre.
Le problème qui se pose ici est que, parce que nous nous soucions de l’autre, cela nous rend bien souvent malheureux… La souffrance des personnes que nous aimons est un obstacle à notre bonheur, tout comme la souffrance de l’humanité.
Au 17ème siècle, Hobbes montre quant à lui qu’il est impossible de limiter ses désirs à ceux qui sont susceptibles d’une satisfaction totale parce que le désir se vit dans le temps. Dans la nature, seul le présent existe. Mais
l’homme ne cesse de se projeter dans l’avenir via son imagination. Et il le fait parce qu’une fois un désir satisfait, il ne pourrait plus vivre sans en avoir un autre. Le bonheur pour Hobbes n’est donc pas un repos : c’est une marche continue d’un désir à un autre.
Entre alors la notion de pouvoir. Le pouvoir d’un homme réside dans le fait de s’assurer de pouvoir jouir plusieurs fois de son désir, et de rendre à jamais sûre la route de son désir futur. Tout désir est désir d’avenir, donc désir de pouvoir.
Une quête infinie bien loin de la conception d’Epicure… Il semblerait donc, si Hobbes avait raison, que nous ne serons jamais pleinement heureux, jamais pleinement satisfaits, jamais pleinement sages…
Pour Kant, le bonheur est la satisfaction de tous nos penchants, de tous nos désirs. Et si tout le monde veut être heureux, personne ne sait comment y parvenir…
Le bonheur, ici-bas, est donc inaccessible. Nous aurons toujours des désirs insatisfaits et nous ne serons jamais, par conséquent, pleinement heureux. Le bonheur, pour Kant, nous ne pouvons que le rêver, il est, ou il n’est, qu’un idéal.
Pascal, quant à lui, affirme que nous ne pouvons jamais vivre le bonheur au présent mais que nous passons notre vie à l’attendre ou à craindre qu’il ne dure pas. Raison pour laquelle nous ne sommes jamais heureux…
Il montre aussi que l’homme ne peut pas rester seul avec lui-même sans tomber dans l’ennui, le dégoût, le désespoir, parce qu’il découvre alors le peu qu’il est et qu’il attend. Nous nous imposons alors un flot d’occupations qui semblent viser le bonheur mais qui, en réalité, ne servent qu’à nous éviter de penser à nous-mêmes. Nous faisons semblant d’être heureux, pour oublier que nous ne le sommes pas et que nous
allons mourir… D’ailleurs, pour ce philosophe, le seul bonheur que l’on peut espérer, c’est un bonheur dans une autre vie. Il ne s’agit pas de renoncer au bonheur. Pour ce philosophe, il s’agit de le chercher dans la religion. Cette dernière nous permet de rester, dans cette vie, dans l’espérance d’un meilleur.
Mais qu’en est-il dans ce cas pour une personne qui ne croit pas en Dieu ?
Si Pascal avait raison, un athée ne peut échapper au désespoir et donc au malheur ; rien ne l’attend au bout du compte après la mort.
Comme l’affirme André Comte Sponville, il semble tout à fait incohérent de penser que le désespoir soit nécessairement un malheur. On peut en effet concevoir un désespoir heureux, ou un bonheur désespéré. Pour ce philosophe bien d’actualité, c’est même le seul bonheur qui paraisse, hors la foi, concevable. On n’espère que ce qu’on n’a pas. Si nous espérons le bonheur, c’est que nous ne l’avons pas. A l’inverse, celui qui serait pleinement heureux n’aurait plus rien à espérer : c’est ce qu’on appelle la
sagesse. Bonheur et désespoir peuvent donc aller ensemble…
Tout l’art consisterait à apprendre à vivre sans espoir, avec désespoir. Comme pour Spinoza, il s’agirait de vivre avec un bonheur qui n’espère rien : le réel est suffisant.
Nous pouvons retrouver cette idée chez les bouddhistes et les hindouistes : seuls les désespérés sont heureux, car l’espoir est la plus grande torture qui soit, et le désespoir la plus grande béatitude. En espérant ce qu’on n’a pas, on se torture ; et celui qui n’espère plus rien peut vraiment jouir pleinement de ce qui est.
André Comte Sponville nous parle là d’une véritable sagesse du désespoir puisque, pour elle, la seule façon de vivre consiste à ne plus espérer le bonheur. Nous y reviendrons plus loin dans l’approche bouddhiste du bonheur.
Il propose ainsi une définition assez modeste du bonheur et qui a le mérite de correspondre à notre expérience de la vie. Pour lui, le bonheur, c’est quand on n’est pas malheureux. Mais c’est aussi et surtout quand la joie paraît immédiatement possible, tout en sachant qu’elle n’est pas présente en permanence, elle va et elle vient. Toujours pour André Comte Sponville, « être à peu près heureux, c’est
déjà un bonheur ».
Nos moments de bonheur correspondent aussi à ceux où la question du sens de la vie ne se pose plus, parce que la vie, ici et maintenant, suffit à nous combler.
La vie réelle, et non pas celle à laquelle on rêve, est donc très importante.
Si l’on vise autre chose que la vie réelle, c’est que la vie telle qu’elle est ne nous satisfait pas, et que donc nous ne sommes pas heureux. Cette quête du bonheur n’a de sens que pour ceux qui ne sont pas heureux.
Ceux qui sont heureux ne sont pas en quête de bonheur et n’ont donc pas à chercher autre chose que ce qu’est la vie en tant que telle. L’expérience du bonheur est donc une expérience du présent, de la réalité actuellement disponible.
Il s’agirait donc de considérer la vie comme étant son propre but. Si nous n’aimons la vie que sous certaines conditions, quand elle est heureuse, ce n’est pas la vie que l’on aime, mais le bonheur. Tant que nous recherchons le bonheur, et non pas la vie, on n’espère que le bonheur que l’on n’a pas, et il se retrouve reporté à plus tard…
Le vrai secret du bonheur, c’est qu’on ne peut l’atteindre qu’en cessant de le rechercher, tout en ayant compris qu’il n’est que quelque chose d’idéal, et que ce qui compte, c’est la vie réelle, qu’elle soit heureuse ou malheureuse…
Comme nous venons de le voir plus haut, il semblerait que, chez les bouddhistes, « seul les désespérés soient heureux »…
Quand est-il exactement du bonheur dans la tradition bouddhiste ?
Pour le Dalaï-Lama, le bonheur est le but de l’existence. Consciemment ou non, tous, tous les matins, nous aspirons à être bien. Pour certains cela passe par le travail ou les habitudes du quotidien, pour d’autres par les loisirs ou l’oisiveté, par l’aventure, pour d’autres enfin par une certaine qualité de leur vie relationnelle.
Quelle que soit notre manière de le rechercher, et qu’on le nomme, joie de vivre, passion ou contentement, le bonheur est le but de tous les buts…
Dans son livre, « Plaidoyer pour le bonheur », Matthieu Ricard explique que « le bonheur est un état acquis de plénitude sous-jacent à chaque instant de l’existence et qui perdure à travers les inévitables aléas la jalonnant ».
Dans le bouddhisme, le mot bonheur désigne un état de bien-être qui naît d’un esprit exceptionnellement sain et serein. Il s’agit « d’une qualité qui sous-tend et imprègne chaque existence, chaque comportement, qui embrasse toutes les joies et toutes les peines ». Rien ne semble pouvoir l’altérer…
Afin de pouvoir avoir accès à ce bonheur, il est important d’acquérir une compréhension claire de la manière dont fonctionne notre esprit. Le bonheur dépend ainsi de notre façon d’interpréter le monde. Et s’il est difficile de le changer, il est par contre beaucoup plus facile de transformer notre manière de le percevoir.
Celui qui connaît la paix intérieure n’est plus brisé par les échecs, et n’est plus forcément grisé par les succès. Il peut vivre pleinement les expériences qui se présentent à lui dans un contexte d’une sérénité profonde, en comprenant qu’elles sont éphémères et qu’il n’a aucune raison de s’y attacher. Pas de danger donc de tomber de haut lorsque les choses tournent mal et qu’il doit faire face à l’adversité.
L’expérience du bonheur s’accompagne en effet d’une vulnérabilité réduite face aux circonstances, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Comme le souligne Matthieu Ricard, une force d’âme altruiste et tranquille remplace alors le sentiment d’insécurité et de pessimisme qui afflige tant d’esprits.
Cette joie qui transcende toutes les circonstances ne vient pas du dehors.
Le bonheur dépend avant tout de notre état intérieur !
Changer notre vision du monde n’implique pas de tout positiver et de faire preuve d’un optimisme naïf dans toutes les circonstances. On risque bien de se répéter encore et encore, pendant longtemps, « je suis heureux », tant que l’insatisfaction et la frustration qui proviennent de la confusion de notre esprit font partie de notre vie de tous les jours…
Le bonheur n’est pas non plus un état d’exaltation que l’on doit rendre permanent. Il concerne plutôt l’élimination des toxines mentales, comme la colère, la haine, la jalousie, l’orgueil, qui empoisonnent l’esprit. C’est pour cette raison qu’il est important de connaître le fonctionnement de l’esprit…
Sans rentrer dans les détails, afin d’apprendre à connaître le fonctionnement de l’esprit, il paraît important de faire un détour par le premier enseignement du Bouddha : les quatre nobles vérités.
Le point de départ de l’enseignement du Bouddha est la constatation de l’existence de la souffrance, pour tous les êtres. C’est la première noble vérité.
Tous, dès notre naissance, nous souffrons, nous rencontrons des maladies, nous vieillissons, et nous mourons. Tout au long de notre vie nous sommes confrontés au fait que le bonheur parfait n’existe pas…
Trois types de souffrances ont été décrits :
Partant de cette souffrance universelle, le Bouddha s’est ensuite demandé qu’elle en était la cause. L’origine de la souffrance est la deuxième noble vérité.
Mais quelle est cette origine de la souffrance ? La réponse est à chercher au niveau du karma et des émotions perturbatrices.
En termes de karma, la loi de cause à effet trouve ici toute son importance. Des actions positives, c’est-à-dire vertueuses, auront certains résultats sur notre bonheur. Tandis que des actions négatives, non vertueuses ou indifférentes, feront vivre des expériences qui font souffrir, un peu ou beaucoup.
Quant aux émotions perturbatrices, elles sont la cause du karma. Il en existe plusieurs types, majeurs et mineurs. La possessivité ou l’attachement, l’aversion ou le rejet, l’orgueil, l’ignorance, les doutes et l’interprétation émotionnelle font parties des émotions majeures. Dans le type mineur, nous retrouverons des émotions comme la colère, le ressenti, l’agressivité, la jalousie, l’avarice, la vanité, le manque de confiance, la paresse,…
En ce qui concerne ces émotions perturbatrices, et cela touche de très près la question du bonheur qui nous préoccupe, il est important de savoir qu’elles trouvent leur origine dans l’insatisfaction de nos désirs. En effet, nous passons notre temps à faire en sorte que nos désirs soient satisfaits, nous essayons… en vain. Le plus souvent, nous tentons de lutter contre l’impermanence des choses et contre la souffrance, nous tentons de faire en sorte que notre désir d’être toujours heureux soit réalisé…
Ne pas être capable de gérer ces émotions entraîne des comportements inadéquats, souvent non vertueux, qui nous éloignent du bonheur.
La troisième noble vérité, ou vérité de la cessation de la souffrance, désigne le but à atteindre : la fin de toute forme de souffrance. Comment y parvenir alors que nos actions passées construisent au fur et à mesure notre karma, notre bonheur ?
Il semblerait que nous pouvons choisir de gouverner nous-mêmes notre devenir afin de diminuer, voire même de supprimer, notre souffrance.
Avoir des attitudes et des comportements vertueux, ainsi qu’apprendre à gérer nos émotions perturbatrices, permettra donc de développer un bien être inaltérable… Accumuler du karma positif permettra de diminuer, voire d’arrêter, la souffrance.
En choisissant d’agir pour notre bien et celui des autres, il est possible d’atteindre cet état de plein éveil dont parle le bouddhisme. Pour se faire, il s’agit de mettre en pratique les conseils sur la voie à suivre enseignés par le Bouddha. C’est ce qu’on appelle la quatrième noble vérité. La vérité de la voie englobe un très large éventail de méthodes et de pratiques à effectuer pour réaliser ce but.
Ces quatre nobles vérités sont la clé de voûte de tout l’enseignement du Bouddha.
Il y a 25 ans, Mihaly Csikszentmihalyi, un psychologue d’origine hongroise qui travaille maintenant aux Etats-Unis, faisait une « découverte » à propos du bonheur.
Le bonheur n’est pas quelque chose qui arrive à l’improviste et n’est pas le résultat de la chance. Il ne s’achète pas et ne se commande pas. Il ne dépend pas des conditions externes mais il dépend surtout de la façon dont celles-ci sont interprétées.
Le bonheur est une condition qui doit être préparée, cultivée et protégée par chacun.
Les gens qui apprennent à maîtriser leur expérience intérieure sont capables de déterminer la qualité de leur vie et de s’approcher aussi près que possible de ce qu’on appelle être heureux.
Pour Mihaly Csikszentmihalyi, il est tout à fait impossible d’atteindre le bonheur en le cherchant consciemment. C’est plutôt par le plein engagement dans chaque détail de sa vie qu’il est possible de trouver le bonheur et non par une recherche directe…
Afin d’atteindre ce but insaisissable, il apparaît qu’il s’agit de s’engager sur une sorte de « chemin circulaire qui commence par le contrôle du contenu de sa conscience ».
Lorsqu’une personne vit un événement, différentes forces qui sont hors de son contrôle créent des perceptions qui arrivent à son cerveau. Ces perceptions vont façonner son expérience vécue et vont influencer son humeur. Ainsi, assez facilement, elle pourra se sentir heureuse ou non…
Souvent, il nous arrive de nous sentir pleinement dans nos actions. Nous ne sommes pas assaillis par des forces anonymes qui génèrent toutes sortes d’émotions perturbatrices en nous. Dans ces moments-là, nous éprouvons un enchantement profond qui deviendra très vite une sorte de référence ou de modèle de ce que notre vie se devrait d’être.
Ces moments d’expérience optimale sont nombreux dans notre vie.
On les vit intensément lorsqu’on crée une œuvre artistique, lorsqu’on pratique un sport, lorsqu’un projet professionnel aboutit…
Et bien sûr, ces expériences optimales se vivent avec une formidable intensité lorsque notre enfant nous sourit, lorsque nous vivons un moment important en famille. Lorsque nous sommes en relation, dans une relation vraie…
De nombreuses études ont démontré que des expériences optimales surviennent aussi quand les conditions externes sont difficiles, dans des camps de concentration par exemple. Des survivants témoignent qu’au milieu de leurs épreuves difficiles, ils ont pu vivre de riches et intenses expériences intérieures en réaction à des événements aussi simples que le chant d’un oiseau ou la réussite d’une tâche difficile.
En fait, ces grands moments surviennent aussi quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale peut donc être provoquée et survient beaucoup moins souvent lorsque la personne est passive.
Afin d’aller un peu plus loin, arrêtons-nous quelques instants sur les caractéristiques de l’expérience optimale.
En fait, afin d’améliorer la qualité de notre vie, nous avons recours à deux stratégies. La première consiste à nous attaquer aux conditions extérieures pour qu’elles s‘harmonisent avec nos buts. La deuxième consiste à modifier notre expérience intérieure : il s’agit ici de modifier notre façon de percevoir et d’interpréter les conditions externes.
Différentes études de l’expérience optimale ont pu mettre en évidence huit caractéristiques majeures :
Ces huit caractéristiques sont bien évidemment présentes dans des activités que l’on choisit dans le but de vivre une expérience optimale. Elles permettent à l’individu de mettre de l’ordre dans sa conscience et vivre une expérience positive intense.
Mais qu’en est-il dans notre vie quotidienne ? Peut-on retrouver dans
notre vie de tous les jours des expériences optimales ?
La qualité de la vie dépend de ce que chacun fait de son existence et de ce qui occupe sa conscience pendant tout ce temps. Les activités ne sont pas sans effet sur la qualité de l’expérience vécue ; celui qui fait constamment des choses déprimantes est peu susceptible de connaître le bonheur. Il en est de même pour la personne qui se focalise sans arrêt sur ses symptômes ou encore sur des problèmes dans le couple…
Heureusement, les effets psychiques de nos activités ne sont pas linéaires : ils dépendent de leurs relations avec l’ensemble des autres activités d’une personne. Manger, par exemple, dans certaines limites, est une source de bonheur. Il en est de même pour le travail, l’activité sexuelle, le repos, et bien sûr, les relations familiales ou amicales…
De multiples études ont démontré que la qualité de la vie dépend du travail et des relations avec les autres. La majeure partie de l’information que nous détenons à propos de nous-mêmes en tant qu’individu provient de notre communication avec les autres et de la rétroaction provenant de notre travail.
Les relations avec nos proches, surtout si nous apprenons à les rendre authentiques et intenses, sont réellement sources d’expériences optimales. Elles permettent à l’être humain de se sentir réel et complet.
Et même si l’homme a besoin de solitude et d’intimité, il ne peut faire l’impasse sur une qualité de vie relationnelle, qu’il retrouvera essentiellement dans sa vie de famille.
Pour reprendre Mihaly Csikszentmihalyi, la famille constitue le premier et le plus important environnement social. La qualité de la vie dépend donc grandement de la qualité des relations forgées entre ses membres.
L’énergie psychique que chacun des membres va investir dans les relations mutuelles et dans les buts de chacun déterminera le sentiment ou non d’être heureux.
Quand deux personnes décident de se mettre ensemble afin de former un couple, les partenaires vont devoir très vite apprendre à accepter des contraintes ; tous les aspects de la vie vont devoir être négociés. Jusqu’à un certain point, il faut une harmonie des goûts, des intérêts et surtout une attention portée à l’autre. Vivre ensemble requiert une réorientation radicale et permanente des habitudes attentionnelles.
Lorsqu’un enfant arrive dans le système familial, le couple doit s’adapter encore une fois aux multiples changements qu’il apporte : heures de sommeil, sorties moins fréquentes, vie au travail et économie pour son éducation. La vie intime du couple est complètement remaniée. Tout cela peut engendrer des conflits internes ou des querelles conjugales.
S’il est certain que des contraintes externes existeront toujours, il n’en demeure pas moins vrai qu’il y a des grandes possibilités de joies et de croissance dans la vie de famille. Les familles qui s’adaptent et persévèrent sont plus susceptibles d’aider leurs membres à se développer que celles qui restent ensemble contre leur gré. Cela nécessite bien souvent un choix volontaire d’investir psychiquement son mariage, sa
famille. Cela permet d’éviter des remises en questions inutiles ou de rechercher ailleurs ce qui pourrait être source de bonheur.
Pour connaître l’expérience optimale, la famille doit avoir un but, une tâche commune, qui va orienter l’énergie psychique des parents et des enfants.
Généralement, il s’agira d’abord de buts généraux à long terme : trouver son style de vie, construire la maison idéale, fournir la meilleure éducation aux enfants, transmettre certaines valeurs.
Ces grands objectifs exigent des interactions qui augmenteront la complexité des membres de la famille. La différenciation permettra à chacun des membres de se développer et l’intégration, quant à elle, donnera à chacun la possibilité d’apprendre à entretenir des liens étroits avec ses proches.
L’apport constant d’objectifs à court terme, comme prévoir d’acheter une nouvelle chambre pour un enfant, planifier les prochaines vacances ou le prochain week-end, permettra ainsi à la famille de conserver son unité et de maintenir l’intérêt de ses membres. Il en va de même pour toutes les interactions qui vont favoriser la réalisation d’objectifs ou de projets individuels.
En matière d’interactions justement, la famille va devoir s’assurer de faire en sorte qu’elles soient les plus claires possibles. Chacun des membres devra savoir ce qui irrite l’autre, faute de quoi, il ne sera pas possible de diminuer la tension grandissante qui fait naître l’entropie du système familial. Les conflits seront donc d’autant plus probables que les buts seront différents. Seules des interactions adéquates, c’est-à-dire une communication constante, permettront l’harmonisation des membres de la
famille pris individuellement, du couple, et de la famille dans son ensemble.
Cette interaction trouve ici toute son importance car elle informe tout le monde sur les résultats des activités, ou de l’expérience optimale vécue.
La stratégie la plus profitable, et la plus difficile, consiste à trouver ensemble des activités qui maintiennent l’unité de la famille.
La recherche d’un équilibre entre défis et aptitudes s’avère nécessaire tant au sein du couple parental, que dans la relation entre les parents et leurs enfants.
Au niveau du couple, tout semble facile au début car les défis sont clairs et nombreux pendant la période de séduction.
Au fil du temps, selon les aptitudes des partenaires, les défis deviennent plus complexes puisque la relation s’approfondit. Beaucoup de choses sont à découvrir.
Avec le temps qui passe, les défis deviennent plus rares, les réactions deviennent prévisibles, les jeux sexuels deviennent moins excitants, tout devient routine. Pour connaître à nouveau l’enchantement au travers d’expériences optimales, il faut retrouver de nouveaux défis. Ils peuvent être forts simples comme, par exemple, varier les habitudes journalières ou hebdomadaires, trouver de nouveaux sujets de discussion, se lier à de nouveaux amis, avoir de nouvelles activités, et surtout se connaître plus en profondeur.
Ce seront ensuite des défis liés à des questions plus existentielles qui surviendront. Ils impliquent la vie à deux à long terme, la venue d’enfants, etc. Comme le souligne Mihaly Csikszentmihalyi, seul l’investissement de temps et d’énergie apportera l’approfondissement de la relation et augmentera la qualité de la vie à deux.
Quant à la relation avec les enfants, généralement elle se porte bien pendant l’enfance ; il y a un bon équilibre entre les défis de chacun.
Les choses se compliquent un peu plus au moment de l’adolescence… Afin de maintenir un bon équilibre, les parents devront veiller à avoir des activités variées et complexes qui intéressent leurs enfants. Les échanges avec les adolescents devront aussi être quotidiens. Dans ces échanges, l’adolescent sera considéré comme un jeune adulte dont l’opinion est valorisée et discutée ; ceci afin d’évaluer le degré des expériences optimales qui vont lui permettre de devenir adulte. La création d’un
environnement qui lui fournit des activités, dans et hors de la famille, est une des tâches les plus importantes pour les parents.
La famille qui a des projets communs, une communication ouverte, qui fournit constamment des possibilités d’action dans une atmosphère de confiance crée une vie agréable et fait donc surgir l’expérience optimale…
Si les relations familiales sont très importantes pour que chacun puisse se réaliser, les relations amicales sont elles aussi nécessaires. L’homme n’estdonc pas fait pour vivre dans la solitude, il a besoin de ses amis comme
de sa famille.
Il semble beaucoup plus facile de gérer les relations amicales que les relations au sein d’une famille. Ces relations sont construites sur base d’intérêts communs et de buts complémentaires. Nous choisissons aussi nous-mêmes ces relations. Certaines études tendent à démontrer qu’on serait plus heureux avec des amis qu’avec notre conjoint, les tâches ennuyeuses étant le plus souvent absentes…
Ce qui est sûr, c’est que chacun se sent confirmé dans son existence grâce à l’attention de l’autre et aux différents échanges que l’on peut avoir. Ce type d’interaction préserve l’individu de la solitude déstabilisante...
C’est dans le contexte des activités amicales que surviennent les expériences les plus intenses. Ces dernières se produisent lorsque sont présentes les différents conditions de l’expérience optimale : buts communs, rétroaction réciproque, et nouveaux défis. Une bonne attention, une ouverture et une bonne sensibilité, permettront le partage des pensées et des sentiments intimes. L’amitié provoque un bonheur intense
quand il y a un investissement d’énergie psychique important, même si c’est rare…
C’est dans le cadre de ces relations que nous apprenons à faire face aux exigences quotidiennes et à négocier efficacement avec l’environnement.
Ce contexte permettra aussi l’expression de soi, afin de ne pas devenir un être désaffectisé.
Si la famille assure une certaine sécurité affective de base, les amis permettent de vivre des nouveautés. Souvent on conserve des souvenirs de famille, et des souvenirs d’amitiés où l’on se rappelle les excitations liées aux découvertes…
Dans un registre beaucoup plus large, appartenir à une communauté ou à un réseau de relations permettra à l’individu de vivre des expériences optimales afin de se réaliser dans d’autres domaines que la sphère familiale ou amicale.
Faire partie d’un groupe, un parti politique par exemple, implique bien souvent d’être confronté à des défis élevés qui nécessitent un investissement d’énergie maximum. L’individu qui réalise de grandes choses pour son pays vivra des expériences optimales peu communes !
De plus la communauté, en les aidant, permet à ses membres de développer certains aspects de leur vie et de les développer. Chacun est encouragé et confirmé dans ses ambitions…
Pascal DEREAU Pascal Dereau démarre son parcours par une Licence en Psychologie à l’ULB qui se termine en 1992. Il entame ensuite diverses formations psychothérapeutiques qui s’intéressent toutes au changement. Avec Bill O’Hanlon, autre élève d’Erickson, et le Docteur Luc Isebaert, Pascal Dereau se formera ensuite en Thérapie Orientée vers la Solution. Enfin, passionné par les états de conscience modifiés, il se formera ensuite à l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) afin de prendre en charge les personnes souffrant de traumas divers ; et à la Mindfulness Therapy, thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (UCL), méthode s’intéressant notamment à la prévention des rechutes dépressives. |