De Mesmer, médecin allemand, de James Braid, médecin anglais, de Charcot, Liébeault et Berheim, médecins français, de Freud, d’Esdale, et j’en passe ...Tous médecins, ils utilisaient l’hypnose il y a un siècle dans l’art de guérir, chacun dans sa voie. On peut dire qu’il y a une longue tradition d’hypnose dans l’histoire de la médecine. Néanmoins cette affirmation heurte car, en Europe et jusqu’il y a peu, l’hypnose était rigoureusement inconnue voire rejetée avec tout le mépris dû au charlatanisme, à l’occultisme.
1. Avant Erickson : l’hypnose, un pouvoir. L’hypnothérapie : un travail symptomatique
L’hypnose fut connue de tous les temps et sur tous les continents. Elle fut l’outil des prêtres, des magiciens autant que des thérapeutes de tous poils.
Son aspect religieux a – officiellement - disparu chez nous. Quoiqu’il y aurait beaucoup à dire des incantations et des onomatopées de nombreux rites religieux quant à l’état de transe qu’ils induisent. Que dire du chant grégorien ? Des musiques sacrées orthodoxes ? De l’état de conscience particulier de certains lieux de pèlerinages ?
Son aspect magique pèse lourdement sur l’image de l’hypnose médicale moderne. Il reste le gagne-pain de l’hypnotiseur de spectacle et demeure malheureusement plus attrayant pour les médias que l’analyse plus froide, plus logique de la recherche clinique concernant l’hypnose, laquelle démythifie et démystifie rapidement l’hypnose.
Son aspect thérapeutique nous intéresse particulièrement. Sans remonter à la nuit des temps, aux prêtres-guérisseurs des Asclépias, aux druides celtiques, etc. ...souvenons- nous plus près de nous de Mesmer, médecin allemand, de James Braid, médecin anglais, de Charcot, Liébeault et Berheim, médecins français, de Freud, d’Esdale, et j’en passe ...Tous médecins, ils utilisaient l’hypnose il y a un siècle dans l’art de guérir, chacun dans sa voie. On peut dire qu’il y a une longue tradition d’hypnose dans l’histoire de la médecine. Néanmoins cette affirmation heurte car, en Europe et jusqu’il y a peu, l’hypnose était rigoureusement inconnue voire rejetée avec tout le mépris dû au charlatanisme, à l’occultisme.
Pour certains, le terme "hypnose" - ou pire "hypnotisme"- évoque des images telles que Mesmer (théâtralisme, illusion...), Charcot (hystérie = névrose = suggestion = hypnose) ou l’hypnose de music-hall (tricherie, crédulité, soumission aux ordres...). Le pré-jugement (préjugé) n’est pas loin...Chez d’autres, il évoque tel film, auréolé de mystère parfois scabreux, le témoignage d’un ami, le hasard d’une lecture. La curiosité est évidente, mais la peur la talonne. Comment pourrait-il en être autrement ? Les "états de conscience modifiés", comme on préfère les appeler aujourd’hui, ouvrent un nouveau champ de recherche : quel lien y a t’il entre la simple relaxation, le rêve éveillé (dirigé, analytique...), le divan du psychanalyste, l’hypnose de scène, la sophrologie, l’hypnose thérapeutique "ancienne" (autoritaire, symptomatique), la méditation (Rainville, Pierre ; 2011) et l’hypnothérapie moderne ?
L’hypnose « ancienne » (archéo-hypnose ?), l’hypnotiste se dit détenteur d’un pouvoir d’influence. En spectacle, il travaille uniquement avec des personnes hyper suggestibles et soigneusement sélectionnées, leur faisant accomplir des actes éventuellement bizarres ou ridicules.
Quand ils soignaient, le traitement était à visée purement symptomatique, la méthode –dans l’idée du pouvoir et de l’influence - était on ne peut plus directive – les suggestions étaient des ordres - avec peu de résultats durables. Ainsi Freud, formé chez Charcot à une hypnose parfois « effractive » (tirer un coup de pistolet à coté d’une personne pour la mettre en transe…) ne pouvait il que rejeter cette pratique qui pourtant lui donna accès à la notion d’inconscient pour laquelle il choisit un autre outil de travail en créant la psychanalyse. On comprend comment il jeta le bébé avec l’eau du bain…
Actuellement, très peu de soignants utilisent encore cette hypnose ancienne : car depuis Mesmer, Charcot et Freud, l’eau a coulé sous les ponts… D’abord aux Etats-Unis, sa pratique en hôpitaux et son enseignement sur les campus ont permis son étude et sa diffusion, l’hypnose a fait l’objet d’études cliniques qui en ont progressivement précisé la nature, les modalités d’application, les phénomènes associés et les principales indications. La deuxième vie de l’hypnose thérapeutique commençait, sous le nom d’hypnose « éricksonienne ».
2 Erickson : l’hypnose, un état naturel de ressources pour soigner : les Thérapies brèves
Milton H. Erickson (1901-1980) est le plus connu des psychiatres novateurs en ce domaine. Déjà en I923, il rencontrait au cours de ses études de médecine, l’un de ses Professeurs de Faculté C. HULL qui pratiquait et enseignait l’hypnose « ancienne ». Au cours de sa longue vie, Erickson a développé une pratique psychothérapeutique et hypno-thérapeutique de plus en plus affinées dont se sont inspirées l’Ecole de Palo Alto qui jeta les bases des théories modernes de la communication humaine, normale et pathologique au point de départ des thérapies systémiques et familiales, d’une part, des thérapies stratégiques (Erickson) ou brèves (Palo Alto) d’autre part.
Milton H. Erickson publia plus de 150 articles scientifiques, fruits de son travail de recherche et de sa pratique repris dans les « Collected papers »" (dont les quatre tomes sont maintenant traduits aux éditions Satas). Il fonda en 1957 l’ "American Society of Clinical Hypnosis (ASCH), dont la revue fait encore autorité aujourd’hui.
On peut parler d’hypnose avant et après Erickson, tant celui-ci révolutionna les conceptions et les méthodes de l’hypnothérapie. S’il fut un thérapeute réellement hors du commun, c’est probablement par la somme de travail, de créativité, de perspicacité, d’obstination et d’humanité qu’il déploya avec ses malades, utilisant l’hypnose d’une façon très différente. Il fut formé d’abord à l’hypnose directive, bien sûr, mais avait appris de ses nombreux handicaps et de son observation pointue de la vie de tous les jours combien l’hypnose est un phénomène naturel, que chacun d’entre nous vit à de nombreux moments dans la journée.
Deux exemples :
![]() - Vous êtes au cinéma, captivé par ce film « dans lequel vous êtes » : cela se passe en Australie, au siècle passé ; la frêle jeune fille rentre chez elle où est caché le méchant agresseur. Elle l’ignore, mais vous le savez ! Votre cœur bat plus vite, votre gorge se serre, les paumes de vos mains sont moites… C’est comme si vous y étiez : vous êtes dans le film ! Et votre corps réagit à vos émotions… A chaque instant de notre vie, Conscient et Inconscient sont comme des vases communicants : nous pouvons passer de l’un à l’autre en une seconde ou – le plus souvent - tranquillement, dans une mouvance imperceptible. Nous verrons plus loin comment les caractéristiques particulières de cet état, par ailleurs banal, peuvent être utiles dans les soins de santé, mentale et physique. |
Milton Erickson évolua. Quand on lit ses articles (Collected papers) chronologiquement, il est évident que sa pensée évolue avec le temps, au fil de sa recherche et de sa pratique clinique.
Quelques grandes lignes :
- Le travail de l’hypno-thérapeute consistant donc à faciliter (plutôt qu’induire) l’état hypnotique chez son patient, lequel s’y trouve de toute façon très souvent spontanément. Dans un moment banal de la journée ou à l’occasion d’une souffrance – morale et/ou physique – intense.
- L’hypnose, pour Erickson, est un état qui favorise le fonctionnement Inconscient par rapport au fonctionnement Conscient.
- L’Inconscient (éricksonien), c’est tout ce qui n’est pas conscient. Définition trop simple pour plaire à tout le monde, particulièrement à ceux qui ont lu des bibliothèques entières sur le sujet…
- Plutôt que de voir dans son inconscient un réservoir de refoulé, de traumatismes, de culpabilité, de déficits, il considèrera son inconscient comme un "grand réservoir de ressources " que le patient était jusque là incapable de mobiliser utilement. Erickson reconnaitra les exceptions au problème, les domaines différents où le patient a déjà réussi à trouver une solution en mobilisant ses ressources, ses compétences : il les renforcera et les utilisera à la résolution du problème. Ce en quoi il est le précurseur des « Thérapies (brèves) Orientées Solution (T.O.S) » de Steve de Shazer et l’Ecole de Milwaukee, maintenant volontiers appelées « thérapies orientées compétences ». Ses stratégies thérapeutiques influenceront grandement les thérapies systémiques, brèves ou non, de l’Ecole de Palo Alto.
- Plutôt que de travailler symptomatiquement, il comprenait la souffrance du patient dans toutes ses dimensions et tentait d’en travailler – consciemment et inconsciemment - toutes les facettes, toutes les dynamiques.
- Ses suggestions étaient infiniment moins directives, plus indirectes par l’usage d’allusions ou de métaphores par exemple.
- Son langage était plus permissif : il offrait au patient un éventail de choix duquel celui-ci pouvait encore sortir : suggestions ouvertes couvrant toutes les possibilités d’une classe, doubles liens, etc. Plutôt que de vouloir imprimer, comme cela se faisait jadis dans l’hypnose autoritaire, ses directives thérapeutiques au patient.
- Il aimait reconnaître, accepter, augmenter et utiliser tout ce qu’amenait le patient : son non-verbal, son langage, ses croyances. Rien de ce que le patient n’apportait n’était considéré comme « résistance » : quand on l’utilise, la « résistance » existe-t-elle ? Il faisait flèche de tout bois, s’utilisant lui-même ainsi que tous les éléments du contexte : familles (la sienne comme celle du patient), lieux, proches, etc. C’est une sorte de « judo relationnel », psycho-judo pour Nicholas Cummings, aspect très utilisationnel de son hypnose et plus généralement de ses thérapies. Ce travail tout en souplesse est élégant, léger, tant pour le patient que pour le thérapeute, c’est « l’hypnose brève et légère » comme l’appellera plus tard Dominique Megglé.
- Les comportements hypnotiques sont involontaires : on ne parvient pas par un effort de volonté à entrer en transe hypnotique ni à favoriser une anesthésie ou une amnésie ! Le patient est d’ailleurs surpris, étonné, de constater les changements survenus au cours de son hypnothérapie ; lui qui est tellement habitué à analyser ses problèmes, à choisir une solution, à prendre une décision et à faire des efforts pour y parvenir ! Ceci surprend – voire heurte- les thérapeutes dont le présupposé est que les changements sont liés à des prises de conscience. Au point de penser qu’une telle façon de faire « vole la guérison au patient »… Erickson disait que l’inconscient peut rester inconscient. Est-ce à des psys qu’il faut rappeler que l’essentiel de notre vie psychique est inconsciente ? On retrouvera dans l’EMDR et le MATH ces changements majeurs où ni le patient ni le thérapeute ne « comprennent » ce qui s’est passé… Simplement, le résultat clinique est là !
Là où notre activité Consciente est logique, analytique, rationnelle, elle nécessite une prise de conscience, une décision, une volonté, un effort focalisé, « conscients ».
Notre activité Inconsciente sera davantage analogique, intuitive, émotionnelle, synthétique, spontanée, créative et plus diffuse.
Pour le thérapeute, ces deux activités différentes seront éminemment complémentaires !
Bien sûr, le patient a analysé logiquement sa situation, son problème et son objectif. Il a pris des décisions et fait des efforts pour y arriver. Les résultats de ce travail sont insuffisants, puisqu’il est là ! Peut-être avons-nous avec lui été au-delà dans cette démarche.
L’hypnose thérapeutique nous permettra d’utiliser ce que j’appelle volontiers « son deuxième moteur » : analogique (d’où tout le langage métaphorique, allusif, indirect), créatif (nouvelles façons de voir, nouvelles solutions) et plus émotionnel…
Exemple : Un patient dépressif décompense après avoir fait beaucoup d’efforts. Mais aussi un patient anxieux, anorexique ou boulimique, en addiction(s) ou en état de stress post-traumatique. Il a fait « plus de la même chose qui ne marche pas », dira l’Ecole de Palo Alto.
Sa solution pourra être « consciente » et/ou « inconsciente » : pourquoi se priver de ces ressources personnelles qui sont là, à sa disposition ? Lui (s’il apprend l’autohypnose) et nous, thérapeutes, apprendront à communiquer avec cette partie de lui qui s’exprime et entend autrement…
Le travail de l’hypno thérapeute consistera dès lors, (1) après avoir capté, fixé l’attention du patient, à (2) dépotentialiser son activité consciente - entre autre part l’usage de la confusion -, puis (3) à augmenter son activité inconsciente, en état de transe hypnotique. Ainsi comprise, la relation soignant patient est une interaction entre le conscient et l’inconscient du patient d’une part, et le conscient et l’inconscient du thérapeute d’autre part. Chacun des deux participants fonctionne, au cours de l’entretien, à la fois sur le mode conscient et sur le mode inconscient dans une proportion, un rapport, le plus souvent inégal et variable.
De formelle qu’elle était traditionnellement (hypnose « déclarée »), Erickson et ses élèves - au premier rang duquel ses enfants ! - sont passés à une hypnose dite « conversationnelle » dans laquelle on retrouve tous les ingrédients de l’hypnose tels que décrits ici même, sans la « déclaration d’hypnose » et le décorum qui l’accompagnait.
Depuis 1986, l’hypnose éricksonienne a fait son entrée en France principalement grâce à des médecins militaires (Jean Godin, Dominique Megglé, Roy, Villien, Quelet, etc.) ou non (J.A Malarewicz). Et en Belgique dès 1988 par l’Institut Milton Erickson de Belgique (I.M.H.E.B, à Bruxelles) et l’Espace Du Possible (E.D.P, à Tournai). Depuis lors, son usage s’y est répandu et une Confédération Francophone d’Hypnose et de Thérapie brève vit le jour en 1996 et tient un Forum (Congrès) tous les deux ans. Elle réunit actuellement quelques 3.000 praticiens francophones. Sur le plan des neurosciences, les études de Marie-Elisabeth Faymonville en Belgique et de Pierre Rainville au Canada ont amené un début de compréhension de la physiologie de l’hypnose et de ce qui la différencie, sur ce plan, de la méditation ou du placebo par exemple. Données extrêmement récentes. Domaine où tout reste à construire. |
2. Actuellement, après Erickson, les mouvements alternatifs : des thérapies encore plus brèves…
Francine Shapiro, psychologue du Mental Research Institute de Palo Alto, créa après 1987, l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR), ou Mouvement des yeux, désensibilisation et retraitement (de l’information), dont traite un autre chapitre de ce livre.
Ses détracteurs lui reprochent « d’avoir réinventé l’eau chaude », empruntant l’exposition, la relaxation et l’association à d’autres modèles. Mac Nally allant jusqu’à dire que ce qui est efficace dans l’EMDR n’est pas nouveau, et ce qui est nouveau n’est pas efficace...
Une particularité de l’EMDR est la stimulation sensorielle généralement appliquée sous une forme bilatérale alternée et initialement par le biais des mouvements oculaires. Francine Shapiro est une thérapeute TCC et elle présenta son modèle comme un outil TCC, l’argument le plus évident étant qu’il procède à une exposition (plus courte qu’en TCC) et à une restructuration cognitive.
Nous avons dès 2005 (25) fait remarquer que l’aspect hypnotique de cet outil était tout aussi évident :
quant aux techniques utilisées :
quant à l’état de conscience modifié qu’elles semblent induire :
– quant aux élaborations spontanées réalisées par les patients :
Olivier Cottencin complète cette réflexion : « Mais nous ne pouvons nous empêcher de constater que les liens entre l’hypnose et l’EMDR sont forts, autant que les liens entre l’hypnose et l’état de conscience modifiée du psycho traumatisme le sont. C’est pour ces raisons que nous pensons que l’EMDR, à défaut d’être une thérapie, est une technique de choix dans l’abord du psycho traumatisme pour un trouble dans lequel l’hypnose a été non seulement historiquement impliquée (Janet, Freud) mais également cliniquement impliquée comme chacun d’entre nous peut le constater par les phénomènes de sidération, par l’atteinte de la mémoire autobiographique (sémantique et épisodique) et part l’atteinte de tous les canaux sensoriels. »
Dans le courant des thérapies brèves et de l’hypnose éricksonienne, l’équipe de l’Arepta, de Nantes intégra à l’EMDR des outils de thérapie brève - particulièrement solutionniste - et d’hypnothérapie. Elle fut suivie avec enthousiasme depuis 2005 par l’Ecole Lilloise (Espace Du Possible – EDP et Action et Communication Efficaces - ACE) qui créa le M.A.T.H (Mouvements Alternatifs en Thérapie et en Hypnose), développé par Jean- François Terakowski. Ses apports sont nombreux : la définition d’objectif, le travail en dissociation (évitant les abréactions), l’apport de multiples ressources, l’utilisation des métaphores et du dessin, le tissage. On voit l’empreinte d’Erickson… Et plus récemment le « travail orienté sur l’état désiré » qui nous éloigne d’autant des difficultés rencontrées dans le travail plus direct sur le trauma. Le résultat de cet apport est une sécurité accrue, l’élargissement des indications (traumatismes complexes, troubles anxieux, dépression, douleur et autres symptômes corporels, etc.), une brièveté et une efficacité accrues avec un minimum de moyens particulièrement ciblés. Bref, au-delà de l’efficacité, l’efficience. L’utilisation des Mouvements Alternatifs se conjugue ainsi à la façon de voir et d’agir des thérapies stratégiques brèves, hypnose comprise.
Serait-ce la troisième vie de l’hypnose qui commence ???
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