Chronique

Faut-il cibler l’objectif ou tracer le chemin ?

Par Sophie De Baets


Faut-il cibler l'objectif ou tracer le chemin (...)

- Qu’est-ce que le coaching pour vous, chère Elise ?
- Le coaching ? C’est très simple : il suffit d’atteindre un objectif. J’ai passé trois séances chez un coach à définir un objectif. Mais si je le connaissais à l’avance, je n’aurais besoin de personne pour y arriver !

Elise est sans doute tombée sur un-e coache plus catholique qu’Alan Fine [1] . Ce coach qui tient à tout prix à avoir la définition d’un objectif avant d’avancer sur le chemin de l’accompagnement, est caricatural. Comme toute caricature, elle nous donne l’occasion de nous questionner sur ce sacro-saint « objectif ». Vous ne serez, sans doute pas certifié coach ICF [2] ou MCC [3] si vous n’avez pas rapidement identifié l’objectif à atteindre avec la personne que vous accompagnez.
Alors, la cible est-elle indispensable pour démarrer un coaching ?

« Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. » (Sénèque).

Qui oserait contredire Sénèque ?
Le coaché, lorsqu’il se présente à la première séance, a bien souvent déjà analysé sa problématique, envisagé de nombreuses options, mais bute sur l’atteinte de son objectif. Parfois même, le coaché vient avec un objectif suggéré par d’autres qui l’incitent à travailler un aspect de sa personne qui est en inadéquation avec les prescrits. D’autres fois encore, le coaché est perdu dans son paysage intérieur brumeux.

Il est entendu que la transformation de la personne est au cœur de la démarche de coaching. Mais comment s’assurer du changement lorsque, en début de processus, le coaché fixe un objectif élaboré sur la base de la perception habituelle qu’il a de lui-même, de son regard sur le monde ? Ne va-t-il pas « faire plus de la même chose » [4] ?
Arriver à son objectif en empruntant les chemins qu’il connaît déjà ? Si un objectif est trop rapidement défini, ne va-t-il pas emprunter l’une de ces autoroutes dont les bas-côtés sont protégés par les signalétiques des discours modernes tels qu’« être efficace », « gagner du temps », « trouver la bonne solution”, “correspondre mieux à ce qui est attendu ” ?
Comment, dès lors, accéder à cette part de soi spontanée, créative et remplie de désirs qui a été occultée depuis parfois longtemps au moment où la personne se présente pour un coaching ? Comment agir nouvellement quand son identité est définie par des normes extérieures contraignantes ? Comment retrouver sa puissance de vie lorsque le récit de soi est en déficit par rapport aux normes de la société ? Comment se fixer un objectif quand on a perdu le sens de qui l’on est profondément ?

L’antonyme philosophique de l’objectif qui nous ramène au sujet

Le philosophe André Comte-Sponville nous livre deux définitions :
« Objectif : Comme substantif, c’est un but ou un instrument d’optique : l’objet que l’on vise, ou celui par lequel on vise un objet.
Subjectif : Qui dépend du sujet (comme individu sentant et pensant), voire qui n’existe que pour et par lui. S’oppose à « objectif »
 [5] .

Voilà que, par l’antonyme de l’objectif, nous parvenons au … SUJET.
Interpellant ! Mais pas suffisant. Sénèque reste un type sérieux.

L’approche narrative, qui se décline en coaching narratif [6] , focalise sa démarche sur l’identité du sujet. « Nous sommes notre propre histoire, nous sommes les personnages que nous créons. Nous sommes les producteurs, les réalisateurs et les acteurs de nos vies. (...) La question fondamentale de la thérapie narrative est donc : comment pouvons-nous aider les gens à réécrire leur histoire, à réviser leur propre identité ? » - Michael White, Maps of Narrative Practice (2007).

La logique de l’objectif

Un demandeur d’emploi se présente pour un coaching avec pour objectif : « Trouver un travail ». Logique. Mais à y réfléchir, cette affirmation conçoit « la recherche d’emploi comme une activité orientée vers les autres, à savoir l’entreprise ou les personnes par lesquelles passera le mouvement » [7] .
Et si nous partions de la personne qui donnera corps à ce travail, à savoir le demandeur d’emploi lui-même ? En d’autres termes, ne vaut-il pas mieux passer par une recherche identitaire, mettre au clair ce qui est important pour la personne, ce qui constitue sa raison d’être ? L’alternative revient à rester rivé au niveau du discours qui décrit l’identité « attendue », celle des employeurs dans ce cas de figure.
Déconstruire les discours dominants du prescrit social est bien souvent nécessaire pour encourager le coaché à s’identifier, à se projeter dans une nouvelle version de lui-même, celle réellement désirée. L’objectif se rattache à une notion d’action à mener. Mais comment agir dans la durée lorsque l’identité du coaché est revêtue de désirs prescrits ?

Capter le vent de l’inattendu pour tailler son identité désirée

En coaching narratif, le processus d’accompagnement suit le vent de l’inattendu, de l’inexploré. Il s’agit de remettre en mouvement un récit de soi qui va parcourir des territoires identitaires abandonnés, car jamais narrés.
Si son identité est bloquée, la personne a besoin de s’ouvrir à d’autres possibles afin de choisir les actions qui consolideront la personne qu’elle souhaite re-devenir. L’espace narratif s’ouvre à elle pour oser dire le rêve de soi qu’elle porte en elle.

Tout reste à raconter, à découvrir.

Le début d’un coaching narratif consiste donc à lancer l’histoire, à la déclencher. Si la question est très large au départ : « Qu’honorez-vous en venant à cette séance ? …. Racontez-moi … », l’histoire n’en est pas moins guidée par un questionnement ciblé.
L’intention du coach narratif est avant tout de rendre la personne digne et de l’aider à se reconnecter à ses ressources et ses compétences de vie. Le processus narratif l’aidera à transformer les récits que la personne se fait d’elle-même. C’est ainsi qu’elle (re)deviendra l’auteur de sa vie pour poser les choix qui lui ressemblent.

Plus que du vent, une carte de questionnement narratif !

Le questionnement narratif est au centre de l’approche. Une fois l’histoire déclenchée, le praticien narratif suit le vent de la narration. Les histoires racontées en réponse aux questions construisent la carte qui aidera le coaché à tracer sa route. C’est ainsi qu’il finira par savoir où il va, par s’installer dans son histoire préférée.
La puissance des questions narratives tient au fait, d’une part, qu’elles se servent du langage et des métaphores du coaché et d’autre part, par leur effet hypnotique puisqu’elles le font voyager dans son vécu. Les questions font revivre pour faire dire, car ce qui n’est pas raconté n’existe pas. Les histoires émergentes permettent au coaché de prendre position, de poser ses propres choix.
En reconstruisant ses histoires personnelles, le coaché modifie sa vision de l’avenir. Il peut ainsi impulser la direction et le sens dont il a besoin pour réaliser son potentiel et atteindre les objectifs qu’il se fixera.
Le coach narratif est un guérisseur d’histoires, sa spécialité est d’explorer comment les gens relationnent avec elles, d’où l’importance d’affûter ses questions.

« Les questions narratives puissantes ont le pouvoir de faire pivoter le discours d’un client dans une direction plus positive et utile. » David Epston

Robert, fraîchement licencié déclare : « Je dois tourner la page »

« Je dois tourner la page » annonce Robert à la première séance. Cela présuppose que l’entreprise était dans le vrai et que Robert a eu un rôle passif dans cette histoire, qu’il n’a plus qu’à tout oublier, passer à autre chose. Rebondir sur la métaphore de la page en la questionnant est un déclencheur de récits alternatifs. Ce sont ces narrations qui amèneront Robert à prendre position sur son histoire.

  • Quel serait le titre du chapitre où figure cette dernière page à tourner ?
  • Quelle en est l’histoire ?
  • Qui vous a aidé à l’écrire ?
  • Quelle est sa place dans le livre de votre vie ?
  • Qui en est l’auteur ? Le co-auteur ?
  • Qu’aimeriez-vous garder de ce chapitre ?
  • Qu’aimeriez-vous barrer sur cette dernière page ?
  • Qu’aimeriez-vous ne plus jamais écrire ?

La qualité hypnotique de la métaphore va aider la personne à revivre sa situation afin d’y débusquer les fines traces d’un récit alternatif. Replonger la personne dans ses ressentis, ses émotions, ses façons d’agir, c’est aussi lui permettre de prendre position et rectifier ce qui n’était pas ajusté à son désir d’agir. Le coach narratif entre dans l’histoire du coaché, danse le tango avec les mots du coaché, incite étoffer les récits alternatifs.

Ainsi dans le cas de Robert, il sera important de lui faire narrer ce qui dans son travail était vécu positivement, car en lien avec les valeurs qui le portent. Déclencher des anecdotes riches pour amener à l’esprit la satisfaction d’un travail bien accompli, d’un climat relationnel et d’autres éléments à reprendre dans son histoire d’à-venir.

« Le processus thérapeutique le plus puissant que je connaisse est de contribuer au développement d’une histoire riche ». David Epston.

Alors, faut-il cibler l’objectif ou tracer le chemin ?

Le coaching narratif se distingue du coaching “classique” par son intention. Il n’y a aucun objectif à poursuivre dans un processus conversationnel narratif, si ce n’est celui de permettre à la personne coachée de découvrir de nouvelles formulations narratives pour se raconter, agir et devenir auteur de sa destinée. Aucune cible n’est à atteindre, car aucun chemin n’est préétabli. La route est tracée au gré des « récits de soi » du coaché. L’influence du coach narratif réside dans sa capacité à poser des questions suffisamment curieuses pour “histoiriser” la vie du coaché et lui donner une vision nouvelle sur sa capacité à tenir la plume de son histoire de vie.

La fin d’un coaching narratif serait :
« Voici l’histoire dans laquelle je veux m’engager et je la raconte, en me positionnant comme auteur. »
La fin d’un cycle de coaching plus classique serait :
« J’ai atteint mon objectif », et j’ai découvert des choses sur mon identité qui me permettent d’avancer.

Coaching et pratiques narratives font alliance pour accompagner la personne vers plus d’autonomie et de résilience.

Sophie De Baets, pour les Réveilleurs d’histoires.

[1Alan Fine a proposé une méthode connue sous le nom de "GROW" (Goal, Reality, Options, Will) qui est un des outils de base du coaching

[2International Coach Federation

[3Master Certified Coach

[4L’expression "faire plus de la même chose" fait référence à la tendance des individus à utiliser des stratégies inefficaces pour résoudre leurs problèmes, en répétant les mêmes schémas de communication qui ont conduit à leur situation actuelle. Les thérapeutes de Palo Alto ont cherché à aider les individus à sortir de ces schémas en proposant des solutions créatives et en encourageant la prise de conscience de ces schémas pour permettre un changement positif.

[5Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville. Puf.

[6L’approche narrative offre au coaching ses structures conversationnelles ainsi que ses postulats de transformation identitaire par le récit renouvelé de soi.

[7cfr Pierre Nassif, Rechercher un emploi autrement, Editions L’Harmattan, p35

Publication proposée par : Réveilleurs d’histoires (les)

Les Réveilleurs d’histoires accompagnent les personnes et les groupes en transition en déclenchant un autre imaginaire narratif, plus porteur de sens et constitutif d’une histoire, d’une identité « préférée ».
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