La souffrance, le cerveau et l’évolution

Par David Vandenbosch


La souffrance, le cerveau et l'évolution

Lors d’un voyage en Pologne, j’ai eu l’occasion de visiter la ville de Varsovie. A proximité de la vieille ville (reconstruite), il était possible de se rendre au sommet d’une tour et bénéficier d’une vue sur la place et les bâtiments avoisinants. Arrivé au sommet, concentré sur mes photos, je mitraille les paysages à 360 °.
A un moment précis, mon attention est attirée par un couple en interaction juste sur ma gauche. Sans volonté de voyeurisme et plus par curiosité, je ne peux m’empêcher d’observer la scène sans la déranger nullement. L’homme apparemment un peu gauche et fébrile dans ses mouvements s’agenouille en gardant les yeux rivés sur la femme qui se tient en face de lui. Il plonge la main dans sa poche et en ressort avec un écrin qu’il ouvre, face à sa compagne pantoise et bouche bée, temporairement figée dans ce moment d’éternité bref qui précède l’hypothétique et désirée réponse (instant que vous avez peut-être connu ?). Elle ne prononce aucun mot, ses larmes se mettent à couler et un sourire immense se dessine,… les deux amants se prennent dans les bras, se regardant profondément dans les yeux,…

En descendant, je croisai dans les 10 minutes, une mère en colère qui tient son enfant par le col, un couple qui se dispute sur le bord de la route, une personne âgée qui râle sur un cycliste qui croise leur route d’un peu trop près, un enfant qui s’extasie devant un fakir qui donne l’impression de voler,… le bal des émotions.

Les méandres de l’existence nous amènent parfois à côtoyer la solitude, le désarroi, des traumatismes, ils nous transportent dans l’inquiétude, l’angoisse, le stress, la panique.
C’est ce que certains nomment la souffrance. Et face à cette souffrance, il est normal de vouloir la diminuer pour laisser plus de place à la satisfaction, la quiétude, la paix.

Nous allons observer cette souffrance à la lumière de l’évolution afin de préciser ses origines au sein de notre propre cerveau.

Mieux comprendre ses doutes, ses peines, ses inquiétudes,… permet dans certains cas un soulagement. En tout cas, proposer une explication opérationnalisable de son problème et ouverte sur la solution constitue une première étape intéressante vers une possible évolution.

La vie offre au quotidien une myriade de joies et de plaisirs mais elle recèle également une myriade de moments de peines et de désarroi. Cet état de fait découle en grande partie de trois stratégies qui ont permis au cours des millénaires aux humains et aux animaux de survivre en climat hostile et transmettre leurs gènes.
Lorsque nous sommes placés dans une logique de survie, ces stratégies sont très efficaces. Dans d’autres contextes, elles entrainent un certains nombre de souffrances. Un peu comme un médicament qui traite un symptôme et entraine toute une série de conséquences connexes tels que les effets secondaires.

Lorsque ces stratégies sont contrariées, des signaux d’alerte à la menace - parfois très douloureux - sont envoyés et parcourent le système nerveux pour remettre l’humain ou l’animal sur une voie plus profitable pour lui.

Ces trois stratégies pourraient être résumées de la manière suivante :

- 1 . Créer des séparations dans le but d’établir des limites et des frontières entre vous-mêmes et le monde mais également entre les différents états mentaux.
- 2. Maintenir une certaine stabilité, cela dans l’optique de préserver un équilibre sain entre les système physiques et mentaux.
- 3. Etre capable de saisir les opportunités potentielles et éviter les dangers - dans ce cas, l’important est de pouvoir bénéficier de ce qui est favorable à la reproduction et échapper à ce qui est défavorable.

En temps de survie, nous l’avons vu, ces stratégies sont redoutables. Les voies de l’évolution cependant se préoccupent très peu de ce que nous allons ressentir et choisissent invariablement les pistes les plus efficientes.
Pour inciter les humains et les animaux à adopter ces stratégies et transmettre leurs gènes, les réseaux neuronaux ont évolué et ont été petit à petit configurés pour générer de la douleur et de l’angoisse dans de circonstances telles que :

  • Une atténuation ou disparition des séparations
  • Des menaces perçues au niveau de la stabilité
  • Lorsque les opportunités nous échappent ou quand le danger menace.

Paradoxe, ironie et douceur amère de notre environnement, ces conditions sont en permanence réunies. En effet, tout est inter-connecté, le monde interne et externe est en perpétuel changement et cerise sur le gâteau, nous ne pouvons saisir toutes les opportunités ou celles-ci peuvent devenir moins attractives, le tout baigné dans une atmosphère de dangers inéluctables (maladies, blessures, vieillissement et mort,…).

L’effort et les éléments mis en branle pour maintenir les séparations sont fréquemment ralentis voire arrêtés par des connexions indispensables que nous avons avec le monde (au travers notamment du métabolisme au niveau de l’environnement / de l’empathie et de l’amour pour le contact avec les autres). Par conséquent, en fonction des circonstances internes ou externes, nous pouvons nous sentir en proie à la solitude et l’isolement ou au contraire être submergé par de trop nombreuses informations.

Lorsque les systèmes de notre corps, de notre esprit ou de nos relations deviennent instables notre cerveau produit des signaux d’alerte dérangeants.
Ces systèmes utilisent des capteurs qui jaugent en permanence l’état de stabilité et envoie des signaux suffisamment désagréables de telle sorte qu’ils engendrent un sentiment de menace, qui va amener à restaurer l’équilibre avant que le système ne se dégrade réellement. Comme tout change en permanence ces signaux plus ou moins discrets ne cessent de nous parvenir. Emotions, perturbations internes, douleurs ,.. jalonnent à dessein notre quotidien.

Notre cerveau a la particularité de déformer nos expériences en leur assignant une tonalité affective - agréable, désagréable ou neutre.

Observez vos expériences au sein de votre environnement et appréciez le nombre de fois où votre cerveau va connoter une expérience de la sorte : le restaurant, le médecin, un trajet,… il leur collera les vocables suivants : c’était bon, c’était pénible, c’était trop long, c’était immangeable, c’était bien,...
Au final et tout logiquement, en tant qu’organisme vivant nous allons rechercher ce qui est agréable, éviter ce qui est aversif et ignorer ce qui est neutre.

Imaginez, maintenant, que ce système se mette à vous faire éviter certaines expériences qui vous sont indispensables mais qu’il a classé dans la rubrique à éviter ?
Uniquement de la fiction ?

Au cours de notre évolution, nous avons été amenés à nous focaliser, en vue de la préservation de l’espèce, plus spécifiquement sur les stimuli négatifs ou dangereux.
En effet, aux temps préhistoriques, il était plus cohérent de rester vigilant au danger d’un animal sauvage et de fuir s’il se présentait, quitte à abandonner temporairement sa quête de nourriture. En effet, celle-ci pourra être trouvée ultérieurement une fois hors de danger, alors que mort on a beaucoup moins faim et on se reproduit plus difficilement (jusqu’à preuve du contraire bien entendu).
Ce penchant négatif a tendance à négliger les bonnes nouvelles, il souligne les mauvaises et peut générer de l’anxiété et du pessimisme.
L’action de récolte d’éléments positifs n’est donc pas totalement intuitive et naturelle, elle demande bien souvent une démarche délibérée et une construction. Cette information va dans le sens de concevoir le bonheur non pas comme un objectif à atteindre mais un processus à vivre et à mettre en action.

Notre cerveau a cette magnifique capacité de simuler des expériences. Il construit une part de ce qui nous entoure pour maintenir une cohérence et une continuité. En fait, une grande partie de ce que l’on perçoit de l’extérieur est en fait fabriqué à l’intérieur par le cerveau comme les images de synthèse d’un film. Nous vivons dès lors dans une réalité reconstituée suffisamment proche du réel pour que nous ne cognions pas (trop) souvent aux meubles.

A ce propos, une phrase du Talmud dit que « Tu ne vois pas le monde tel qu’il est, tu le vois tel que tu es »

Et lorsque nous sommes dans un environnement calme, paisible, neutre (votre lit par exemple) ce simulateur nous extrait de l’instant présent en générant des fractions de réalité virtuelles qui vont nous amener parfois à poursuivre des plaisirs surfaits et intérieurement surenchéris ou à résister à des douleurs exagérées ou irréelles.

Au final, notre cerveau remarquablement plus développé que celui de nos voisins les animaux se dessine comme un terrain fertile à l’éclosion d’une souffrance parfois utile. Nous seuls pouvons nous inquiéter d’un avenir plus ou moins lointain, regretter des actes ou des non-actions passées et nous reprocher le présent. Nous pouvons parfois être frustrés quand nous obtenons ce que nous avons tellement désiré ou si nous ne le sommes pas le phénomène d’habituation hédonique va éroder le plaisir ressenti à l’obtention du précieux sésame. Nous sommes aussi, de temps en temps déçus quand une bonne chose prend fin. Dans certaines circonstances nous souffrons de souffrir.

A ces moments, nous pouvons être mécontents d’avoir mal, être révoltés par l’idée de la mort ou tristes de nous réveiller tristes, en ce monde, un jour de plus. Ce type de souffrance - qui englobe une grande majorité de nos peines et de notre insatisfaction - est une construction de notre cerveau, utile en d’autres époques et lieux mais parfois un peu décalée en nos temps actuels. Il s’agit d’une invention. Ce qui est mi-ironique/cynique et mi-poignant /touchant et comporte en son sein un caractère extrêmement encourageant.

Car le cerveau à l’origine de ces maux peut aussi être à l’origine d’une autre chose, un quelque chose, proche du remède et du bonheur.

Publication proposée par : Vandenbosch David

David Vandenbosch est psychologue, formateur, conférencier en ACT et en Mindfulness, Membre fondateur et ex-trésorier de l’AFSCC.

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