Note de lecture

La psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ?

par Antoine Fratini


Le titre du livre "La psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ?" est en même temps la question de fond traitée dans le dernier ouvrage de Guy Darcourt, éminent psychiatre, membre de l’Association Psychanalytique de France et professeur émérite de psychiatrie à la faculté de médecine de Nice.

Le but explicite de l’ouvrage est de contribuer à un dialogue constructif entre la psychanalyse et la psychiatrie. L’auteur commence par situer la question en décrivant les récentes évolutions des deux disciplines. Il interprète ce qu’il nomme le récent « déclin » de la psychanalyse d’une part comme le résultat des derniers remaniements des catégories psychopatologiques du DSM devenues a-théoriques (descriptives, sans explication) et adoptées à peu près par tous les psychothérapeutes, et d’autre part comme le résultat de la confrontation aux pratiques comportementalistes et cognitivistes qu’il considère plus rapides et efficaces. L’auteur annonce pourtant dès le départ qu’il ne faut pas « jetter le bébé (la psychanalyse) avec l’eau du bain » et affirme en termes autoritaires mais peu argumentés que nombres de concepts psychanalytiques n’ont aucune valeur clinique. C’est « l’eau du bain » ! Il en va ainsi, à son dire, du complexe de castration. Ne pouvant être démontrée, une telle affirmation ne relève en réalité que d’une opinion. Au contraire, certains grands cas cliniques, comme celui de « L’homme aux loups [1] » par exemple, tendent à démontrer que le complexe de castration est un concept qui peut aider le sujet à comprendre certains aspects du névrosé comme par exemple la structure de certaines phobies.

Tout au long du livre l’auteur ne cesse d’employer l’expression « maladie mentale » et laisse entendre que les récentes techniques d’imageries cérébrales procurent la preuve scientifique (p. 26) des causes organiques des troubles psychiques. Il apparait donc légitime à tel propos de s’interroger sur la bonne foi de l’auteur car en effet les imageries cérébrales n’apportent d’informations que sur l’état de fonctionnement du cerveau. Il pourrait s’agir aussi d’une simple ingénuité intellectuelle. N’importe comment, aucun examen objectif même le plus poussé n’a jamais pu prouver l’existence d’une quelquonque cause organique dans les troubles psychiques tels que nous les connaissons dans les névroses et psychoses. Aucune lésion des tissus cérébraux, aucun virus de la schizophrénie... Par contre, l’on sait combien l’industrie pharmaceutique a besoin de la croyance à la maladie mentale et donc de la psychiatrie pour vendre les psychotropes. L’Histoire montre également que la psychiatrie a toujours servi le pouvoir constitué. Elle a été trop souvent utilisé pour enfermer des individus considérés déviants, porteurs de problèmes sur le plan aussi bien social que politique et donc dangereux pour le système. Il n’est donc pas recevable sur le plan éthique que des professionnels se disant psychanalystes arrivent à distribuer des psychotropes le matin (en survolant sur la multitude d’éffets collatéraux même graves liés à telle assomption) et à pratiquer des séances l’après-midi !

L’auteur plaide en effet en faveur des « traitements combinés » à base de médicaments et de techniques psychothérapeutiques. Ce qui semble être un must dans le champs « psy » actuellement. Comme je l’ai déja affirmé dans de précédents articles, il semble clair que seule la psychothérapie, en tant que discipline essentiellement technique, renonçant en d’autres termes à connaitre pour guérir, se prête de bon gré à une telle combinaison. Il s’agit là à mon sens d’un moyen subtil par lequel la psychiatrie cherche à se donner bonne conscience et à apparaître plus humaine. Ne considérer que les traitements chimiques serait pour la psychiatrie une politique qui risquerait d’être jugée trop radicale pour pouvoir s’imposer. Tandis que le mélange « savant » de techniques chimiques et psychothérapiques laisse entendre une ouverture d’esprit qui malheureusement n’est qu’apparente.

Les approches techniques au mal-être psychique considérées par notre auteur sont surtout le comportementalisme et le cognitivisme. Les « schémas cognitifs perturbés » (autre manière plus érudite ou technique de nommer de nos jours les pensées qui s’écartent d’une normalité) sont en éffet conçus par le cognitivisme comme des « postulats silencieux » dont la personne n’est pas consciente et qu’il s’agit donc d’éclairer et d’élaborer différemment. Comme d’autres avant lui, l’auteur n’invoque pourtant pas l’inconscient pour décrire la nature de ces pensées, mais affirme qu’elles relèvent plutôt du système préconscient, donc d’une instance psychique prévue par Freud mais dont l’importance aurait été reniée par la plupart de ses disciples. M ais, d’un autre point de vue, ce glissement pourrait avoir une fois de plus la fonction réelle de se défaire de l’inconscient et de ses implications embarassantes. Il ne sera pas superflu de rappeler que Freud conçoit le préconscient comme une zone intermédiaire de la psyché où la conscience et l’inconscient confluent et où a lieu une élaboration entre les deux systèmes. Ainsi, l’existence d’un préconscient ne se comprend qu’en référence à un inconscient. Qu’il soit freudien ou jungien, personnel ou collectif, l’inconscient touche à la grande question du sens des névroses. Et c’est ce dont toute approche technique cherche à se débarasser. Pourtant, une fois de plus il me faut constater que s’il existe nombre de personnes qui s’adressent à psychiatres et psychothérapeutes, il en existent aussi beaucoup d’autres qui leur préfèrent encore la psychanalyse et éprouvent le besoin clair et fort de bien comprendre ce qu’il leur arrive. De cette initiale « obscure perception » des raisons de leurs maux se joue leur choix de s’adresser à un professionnel privé de technique qui ne promet rien d’autre qu’une écoute attentive, respectueuse et, donc, instructive. Mais encore faut-il que la société laisse aux individus la liberté de choisir. Aux USA par exemple, cette liberté leur a été enlevé par la médicalisation de la psychanalyse ; et en Italie le même choix a été rendu plutôt difficile par une politique qui tend à aligner la psychanalyse aux critères de la psychothérapie. Quelle sera le futur de la psychanalyse en France ?

Pour en revenir à l’analyse du préconscient, Darcourt ajoute qu’elle est la seule à pouvoir être considérée « à peu près » scientifique car elle rencontrerait moins de résistences par rapport à l’analyse de l’inconscient. L’auteur semble fixé à une conception classique d’une science se croyant capable de décrire les phénomènes de manière objective. D’éminents philosophes, comme Nieztsche par exemple, avaient déja dénoncé les limites intrinsèques d’une science qui vire dans le scientisme [2] et aujourd’hui les mêmes critiques ont été reprises par les épistémologistes modernes. Darcourt semble pourtant croire à la possibilité d’une connaissance objective des faits psychiques préconscients. Sa principale argumentation consiste, comme nous l’avons dit, à affirmer que l’analyse du préconscient suscite moins de résistances, de telle sorte que le couple analytique se trouverait plus facilement en accord sur l’interprétation des faits. Selon l’auteur, seul ce genre d’opération respecterait le principe d’irréfutabilité par lequel K. Popper propose d’évaluer la nature scientifique d’une démarche. Or, disons le bien clairement, ce même principe, qui consiste à prévoir dans la démarche scientifique la possibilité d’une réfutation des résultats ou, si l’on préfère, d’une contre-démonstration, n’est point étranger à la psychanalyse. En effet, contrairement à ce que nombres de nos détracteurs sous-entendent, l’analyste ne cherche aucunement à avoir raison sur l’analysant, car par sa présence discrète et ses interventions respectueuses mais ponctuelles, il l’aide à accoucher de ses propres vérités. De plus, n’oublions pas que les resistances ne concernent pas uniquement l’interprétation, mais aussi le transfert. Devrions-nous pour autant renoncer à analyser le transfert ?!

En sommes, selon Darcourt, pour rester dans le champ de la science la psychiatrie devrait renoncer à l’apport plus profond et révolutionnaire de la psychanalyse et se concentrer sur « ce qui ne résiste pas », le préconscient. Nous sommes bien loin du compte ! Pour que la psychiatrie puisse devenir véritablement scientifique elle devrait avant tout, comme dénonce T. Szasz [3] , sacrifier sa croyance à l’existence de la maladie mentale, idée qui fonctionne comme fonctionnait jadis, au temps de la chimie pré-scientifique, l’idée du phlogiston, cette substance imaginaire que l’on croyait la cause de l’inflammabilité des corps. Tout comme l’existence du phlogiston n’était pas démontrable et empêchait l’évolution scientifique de la chimie, l’existence de la maladie mentale ne se base la plupart du temps sur aucune preuve et empêche l’évolution scientifique de la psychiatrie. Par conséquent, l’on comprend mal qu’un psychiatre se voulant scientifique parte d’une idée qui ne l’est pas. De plus, si aucune science moderne ne peut se considérer objective, pas même la physique, l’on comprend encore moins pourquoi la psychanalyse devrait l’être afin de se voir attribuer un statut scientifique.

pour ma part, je pense au contraire que la présence de réactions émotives comme les résistances puisse être considérée comme un indice de l’existence, en amont, d’un complexe, tout comme les traces laissées dans les chambres à bulles des physiciens modernes dénoncent la présence de particules indécelables autrement.

D’un point de vue historique, à partir du moment où, depuis plus d’un demi siècle déja, certains cliniciens, d’abord dans le champ de la psychanalyse et puis en dehors du même, ont voulu opérer un tel virement de registre, toutes les thérapies ayant vu le jour ont consisté plus ou moins à renforcer le Moi dans ce que J. Lacan nommait sa « méconnaissance profonde ».

Pour conclure, à la question fondamentale constituant aussi le titre de cet ouvrage, « la psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ? », je ne peux que répondre : espérons que non ! Du moins pas de cette manière, pas si l’on rejette l’essentiel de ce qu’elle représente et si on en utilise qu’une partie pour alimenter un leurre et légitimer une approche de type technique au malêtre humain.

Antoine Fratini est Président de l’Association Européenne de Psychanalyse. Il exerce la psychanalyse en Italie depuis une quinzaine d’années et est l’auteur de :
- Parola e Psiche (Armando, Rome 1999) qui est un essai sur une liaison entre les orientations linguistique et archetipique en psychanalyse ;
- Vivere di fumo (Book Ed, Bologne 1991) qui est un essai sur la drogue douce ;
ainsi que d’autres ouvrages d’ordre littéraire.
- Pour en savoir davantage, vous pouvez consulter le site www.aepsi.it

- Guy Darcourt, La psychanalyse peut-elle encore être utile à la psychiatrie ?, Odile Jacob, Paris, 2006

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[1S. Freud, Cinq psychanalyses, PUF, Paris 1990

[2Voir par exemple la préface de Angelo Conforti à mon La psychanalyse au buché, http://perso.orange.fr/causepsypsycause/.

[3T. Szasz, Maladie mentale : le phogiton de la psychiatrie, www.aepsi.it.

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