Ethnopsychanalyse (partie 2)

Par Dyane Andreÿ


Deuxième partie
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V -L’AVENIR DE LA PSYCHOTHERAPIE

"J’en suis arrivé à penser que l’ethnopsychanalyse, lorsqu’elle est pratiquée de manière rigoureuse - et je sais combien c’est difficile -est à l’heure actuelle la psychopathologie la plus à même de penser systématiquement les faits à partir de procédures d’influence délibérément déclenchées par le thérapeute et non à partir d’une ridicule entomologie psychiatrique que même les plus irréductibles biologistes trouvent aujourd’hui totalement arbitraire." (Tobie NATHAN, op. cit.)

"On dit souvent que la médecine relève à la fois de l’art et de la science", nous rappelle Philippe PIGNARRE (op.cit.).

Dans la Chine ancienne, le médecin était payé régulièrement, et parfois richement, s’il était connu pour son habileté, tant que son patient demeurait en bonne santé. En revanche, il cessait de l’être dès que son patient tombait malade !

Voilà un bon moyen de motiver le médecin à nous guérir, sans lui laisser l’officielle permission de nous traiter comme un cobaye, sur lequel on va tester tel médicament, et puis, tiens, s’il ne "marche" pas, ily a l’autre, le petit nouveau qui vient de sortir, et dont le labo pharmaceutique lui a justement vanté les mérites, lui promettant parfois voyages et cadeaux s’il le prescrit ....(authentique, hélas !).

Dans lemeilleur des cas, lorsqu’il ne sait pas quoi faire, et qu’il veut réellement respecter son serment d’Hippocrate (qui lui enjoint, je le rappelle : "PRIMUM, NON NOCERE" : "d’abord, ne pas nuire"), notre bon vieux médecin "defamille" prescrira un PLACEBO, c’est-à-dire une substance théoriquement dépourvue de principe thérapeutique, mais qui, si elle est proposée avec conviction par le médecin, et prise avec confiance par le patient, s’avérera aussi efficace que le médicament le plus puissant !

"PLACEBO",en latin, signifie "je plairai" ; mais à QUI sera censée plairecette substance, quelle qu’elle soit ? au malade.... ou au médecin ?.....

Or, cette prescription du PLACEBO ne peut-elle se comparer, en tous points, à un ACTE MAGIQUE ? Rien ne manque pour le considérer selon ce point de vue : une substance "vide" chimiquement, ou du moins dépourvue de nuisancecomme d’efficacité reconnue "scientifiquement" (par exemple, des injections d’H2 O), mais porteuse d’un redoutable message d’ESPOIR et de FOI, tant dela part du médecin que du malade. Si l’on remplace "médecin" ou "psychiatre" par "guérisseur" ou "sorcier", et "l’H2 O" par des versets du Coran écrasés, éventuellement dissous dans un liquide (soin traditionnel, prescrit par tous les grands guérisseurs Africains musulmans, ce mélange peut se boire, ou servir d’emplâtre ou detalisman), ou bien par un antique breuvage issu des connaissances traditionnelles des Indiens, ou même par des rituels ou des prières issues d’un vieux grimoire du type "Grand Albert" ou "Prières de l’Abbé X ou Y", on comprendra en quoi notre expérience peut s’enrichir de celle denos lointains ancêtres, même si l’on a confiance dans la médecine actuelle...

"Qu’est-ce qui différencie la lecture du marc de café, ou, comme au Maghreb, du plomb fondu ou de la pierre d’alun fondue, de l’interprétation d’un test de Rorschach réputé fiable ?" (Tobie NATHAN, op. cit.)

En effet,l’utilisation du placebo en médecine est parfaitement codifiée,et ses effets multiples sont connus, ils ont été étudiés à maintes reprises, dans tous les pays. On a même observé des effets iatrogènes négatifs (des symptômes pathologiques) à la suite de la prise de placebo, ce qui peut paraître le comble de l’absurdité ; mais cela se comprend parfaitement, si l’on admet quec’est seulement le psychisme du patient qui octroie au placebo sa valeur, thérapeutique ou non. En effet, Philippe Pignarre nous le fait remarquer, "il ne faut pas croire que l’on pourrait aisément séparer le social du scientifique".

Une chose est certaine : si le médecin occidental "traditionnel" et bien pétri d’études universitaires prescrit des placebos, c’est qu’il ne doute pas de leur efficacité potentielle.

En effet, tout médecin a, un jour, constaté que certains patients ne peuvent pas guérir sans avoir absorbé leur "petite pilule", qui possède alors la valeur d’un OBJET TRANSITIONNEL (pour reprendre la terminologie de WINNICOTT), symbolique, une sorte de pont entre lui et la guérison,de talisman destiné à conjurer la maladie, qui doit être soignée "par l’intérieur" ; le patient exprime ainsi le rapport ORAL (au sens psychanalytique du terme) qu’il entretient avec le monde, ainsi que sa problématique inconsciente face à la maladie, peut-être liée à sa relation à la Mère (réelle ou symbolique).

Certains de ces patients, déçus par la médecine, iront se faire prescrire leur placebo par un guérisseur, une "sorcière" ou une "panseuse", voire un "mage" africain ou oriental ; et pourtant, ces patients sont occidentaux de naissance, et nés d’ancêtres issus d’une culture occidentale en tout point conforme, en apparence, à celle de leur "médecinde famille".

C’est pourquoi, selon Philippe Pignarre, qui s’est particulièrement intéressé à ce phénomène, "l’effet placebo se révèle à l’usage plutôt un obstacle à la compréhension tant de la médecine moderne que des autres formes de médecine,comme par exemple les médecines traditionnelles." (op. cit.)

Ainsi, le thérapeute appliquera au corps (sous forme d’onctions, voire de peintures rituelles, de bains, de boissons) et à l’âme (par l’intermédiaire de prières, de lectures religieuses ou de mantras) des "traitements" qui, de manière analogique (donc symbolique), vont s’adresser à l’inconscient du patient, à son "guérisseur intérieur" (que nous possédons tous), afin que la guérison puisse intervenir, déclenchée évidemment par le patient lui-même,comme toute vraie guérison ! Toutefois il est essentiel, pour que le traitement soit efficace, qu’il soit fondé sur les croyances propres du patient, sa religion, ses pratiques rituelles : ainsi, un Bouddhiste ne sera pas traité comme un Musulman ou un Animiste, c’est ce qui impose au thérapeute strictement ethnopsychanalyste une très vaste culture ethnologique.

VI -APPLICATIONS DE L’ETHNOPSY POUR LES PETITS

"Un docteur sait, un médecin soigne, un thérapeute applique une thérapeutique. [...]"Thérapeute n’est qu’un euphémisme mou, une tentative de contourner le paradoxe fondamental de celui qui fait métier de guérir. Car guérir est toujours un acte de pure violence contre l’ordre de l’univers. Et nulle thérapeutique n’est plus violente que celle quientreprend de guérir l’âme."
Tobie NATHAN, introduction à "L’Influence qui guérit".

Dans un célèbre hôpital parisien, à l’exemple de ce qui avait déjà été expérimenté avec succès aux États-Unis ou en Angleterre, a été ouverte une consultation pédopsychiatrique, réservée aux enfants accompagnés de leurs "doudous" malades.
Je suis convaincue que cette pratique, connue des psychanalystes pour enfants, possède detrès réelles propriétés thérapeutiques sur les tout-petits.

En effet,le mal dont souffre le "doudou" n’est que la traduction du mal, très réel, dont souffre l’enfant lui-même ; le problème est qu’il ne s’agit pas forcément d’un mal physique, l’emplacement et la nature dela souffrance attribuée à la peluche (ou tout autre objet) sontsouvent métaphoriques, et la difficulté consiste alors, pour lethérapeute, à "traduire" cette souffrance afin de soulager l’enfant.

La consultation s’orientera donc dans une direction psychanalytique "classique", c’est à dire que le pédopsychiatre fera parler l’enfant, l’aidera à traduire en mots, en dessins, ou en actes relativement compréhensibles pour desregards attentifs, la souffrance qu’il transférait sur son "doudou". Cet OBJET TRANSITIONNEL (selon la terminaison de Donald Winnicott), porteur symbolique de la souffrance de l’enfant, servira de pont entre le petit patient et le thérapeute, de traducteur d’émotions et d’affects,
et pourra devenir objet d’interprétation, comme dans une cure classique.

Une autre possibilité, choisie par certains pédopsychiatres, consiste à "soigner" le doudou, sans passer par le décodage, potentiellement long et fastidieux (voire inaccessible....), du symbole ou de l’allégorie que constitue la prétendue "maladie du doudou". Autrement dit, si l’enfant est incapable (parce qu’il est trop jeune, ou qu’il se révèle "bloqué" dans ses capacités d’expression) de verbaliser, de dessiner, de façonner ou de traduire d’une quelconque autre façon ce que la "maladie du doudou" signifie pour lui, le thérapeute pourra "faire semblant" de "soigner" le doudou, en l’auscultant, en lui parlant, éventuellement en lui appliquant des pansements, des pommades, ou d’autres soins destinés à montrer l’INTERET qu’il marque à l’enfant, le fait qu’il considère que sa souffrance est REELLE, et que sa demande de soins est LEGITIME. Car dire à l’enfant qu’il se trompe, qu’"un doudou ne peut pas être malade", ne l’aidera en aucun cas, au contraire, cela ne pourra qu’aggraverson mal-être, qu’il sera "obligé" de traduire d’une autre façon, par exemple en somatisant, en devenant lui-même malade.

Cette technique rejoint évidemment les pratiques "magiques" de toutes les civilisations anciennes et traditionnelles, où l’on utilise fréquemment des fétiches ou d’autres objets de forme plus ou moins humanoïde comme supports au traitement du patient, et elle s’avère pleinement efficacesur ces êtres totalement ouverts et sans préjugés "intellos" que sont les petits enfants.

Le thérapeute pourra également, en tenant compte de la culture propre à l’enfant, avoir recours à des CONTES, ou des récits de Mythes, qui lui permettront d’établir un pont avec cet enfant, de lui parlerun langage à sa portée, compréhensible selon ses capacités imaginatives. Dans toutes les cultures du monde, des Contes existent,qui véhiculent un précieux savoir spirituel et psychologique, susceptible de soutenir le psychisme fragile de l’enfant et de lui permettre d’élaborer son histoire personnelle par-delà les traumatismes. FREUD a étudié et commenté les multiples dimensions des mythes de la Grèce Antique, et tous les shamans des sociétés traditionnelles, au cours des cérémonies rituelles, ou des cérémonies de guérison, racontent des récits rappelant les liens aux Ancêtres et le pouvoir du Clan, du groupe. A ce sujet, on lira avec profit les travaux de Bruno BETTELHEIM et de Marie-Louise VON FRANZ sur les Contes de Fées, et le livre de Geneviève DJENATI "Psychanalyse des dessins animés".

VII -D’AVANT-HIER A APRÈS-DEMAIN...

Pour toutes ces raisons, je me sens particulièrement proche de l’Ethnopsychiatrie, bien que n’ayant pas eu le bonheur de l’expérimenter avec l’un des rares spécialistes de la question.

En effet,les techniques de l’ethnopsychothérapie, évitant d’"assommer" les patients avec des psychotropes, font appel au "guérisseur intérieur" que nous possédons tous en nous, cette pulsion de Vie dont parlait Freud, qui nous pousse à aller mieux, si les possibilités nousen sont offertes.

En soulageant le corps du malade grâce à des placebo de facture traditionnelle, dont la recette remonte à des temps immémoriaux, en élevant son âme par l’intermédiaire de prières, de lectures religieuses ou spirituelles, d’invocations ou de mantras, le thérapeute respecte son patient en tant qu’individu TOTAL, il tient compte de ses pratiques rituelles,de sa religion, mais aussi de ses superstitions personnelles (par exemple, croyance en la sorcellerie), qui ont pu, plus ou moins consciemment, influer sur l’étiologie de sa maladie.

Le rôle de ces thérapeutes se situe donc au confluent de l’âme et du corps, sans cette dichotomie dont l’Occident est victime depuis trop longtemps, souvent incapable de façonner et de reconnaître une médecine véritablement holistique, seule capable, à mon sens, de rendre compte et de soigner la plupart de nos maux.

L’ethnopsy, selon le principe énoncé par Devereux, ne hiérarchise pas les interprétations ni le choix des outils thérapeutiques ; pour l’ethnopsy, la parole échangée au sein du groupe, la prière ou l’évocation des ancêtres, les actes ou pratiques magiques , les transes, auront la même valeur que les rêves, les associations libres ou tous les outils qu’un psy occidental pourrait utiliser.

C’est pourquoi l’ethnopsychiatrie, fondée sur des connaissances et des pratiques émergées de la nuit des temps, me semble porteuse de tant d’espoir pour l’avenir de la médecine. Elle propose une alternative au choix cornélien entre les "médecines douces" et la "médecine officielle" (choix crucial pour certains, nous le savons), elle offre ses mains tendues entre toutes les cultures et toutes les époques, elle se montre tolérante, ouverte à toutes les folies, à tout ce que l’imagination etla volonté humaines ont jamais inventé pour nous permettre de transcender la souffrance et la maladie.

-  Dyane ANDREY, est Professeur de Lettres, spécialisée en Linguistique et Sémiologie, et Thérapeute bénévole.
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